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et on les voit l’un et l’autre, vêtus du costume bigarré des écuyers-baladins, étincelans d’oripeaux et de paillettes, exécuter sur leurs chevaux les plus étonnans tours de force. Les faces rubicondes des maquignons hanovriens en étaient tout ébahies, ces braves gens applaudissaient à coups redoublés sur leurs culottes de peau jaune, claque foudroyante, et telle qu’à aucun théâtre je n’en ai depuis lors entendu de pareille. C’est qu’Astaroth était vraiment ravissante sur son cheval ; c’était une svelte et jolie fille avec les plus grands yeux noirs qui soient sortis de l’enfer. Faust aussi avait bonne mine dans son brillant costume, et c’était un cavalier bien supérieur, veuillez le croire, à tous les docteurs que j’aie jamais vus chevaucher en Allemagne. Tous deux, partant au grand galop, firent le tour de la scène, où l’on apercevait dès-lors la ville de Troie, et, au sommet de ses remparts, la fameuse Hélène de Sparte.

L’apparition de la belle Hélène dans la légende de Faust a une signification importante. Elle caractérise l’époque de la légende, et nous en révèle la pensée la plus intime. Cet idéal éternel de la beauté et des graces, cette Hélène grecque, que nous voyons un beau matin s’installer en maîtresse dans la maison du docteur Faust à Wittenberg, n’est autre que l’antique Grèce elle-même, l’hélénisme conjuré par des incantations magiques et surgissant soudain au cœur de l’Allemagne. Le prodigieux livre qui contenait les plus puissantes de ces formules évocatrices, c’était Homère ; Homère, la vraie, la grande clé des enfers, qui séduisit, qui ensorcela et Faust et un si grand nombre de ses contemporains. Faust, le Faust historique, aussi bien que celui de la légende, fut un de ces humanistes dont l’enthousiasme propagea en Allemagne la science et l’art des Grecs. Le siège de cette propagande alors était Rome, Rome où les prélats les plus éminens relevaient les autels des anciennes divinités, Rome où le pape lui-même leur vouait un culte particulier, cumulant, à l’instar de Constantin, son prédécesseur, l’office de grand pontife du paganisme et la dignité de chef suprême de l’église chrétienne. C’était l’époque de la résurrection du monde antique ; disons mieux, en nous servant du terme usité, c’était l’époque de la renaissance. Cette renaissance put fleurir et régner en Italie bien plus facilement qu’en Allemagne ; chez nous, en effet, elle rencontra en face d’elle la résurrection de l’esprit juif, la renaissance évangélique, qui, produite vers le même temps par Luther et sa traduction des Écritures, déployait avec ardeur son fanatisme iconoclaste. Chose singulière, les deux grands livres de l’humanité qu’on avait vus, il y a une douzaine de siècles, s’acharner au combat, puis, comme exténués d’efforts, disparaître de l’arène pendant tout le moyen-âge, Homère et la Bible, on les voit, au début du XVIe siècle, se reprendre corps à corps dans une lutte nouvelle ! Si j’ai dit