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de l’autre côté le saint père de moins en moins porté à se fier à un régime qui ne paraissait pouvoir le conduire qu’à une catastrophe, et instinctivement poussé par conséquent à se rejeter en arrière dans les bras de ses cardinaux ; hors de Rome, les provinces les plus importantes dans une agitation inexprimable ; le reste de l’Italie, de Palma-Nuova à Palerme et de Venise à Turin, en armes et en feu ; l’Europe entière soulevée ; Paris, Vienne et Berlin en révolution, — et on comprendra aisément que, si le nouveau ministre ne réussit pas plus que son prédécesseur à établir le gouvernement constitutionnel à Rome, c’est au moins autant à l’embarras sans égal de sa position personnelle et à la violence extraordinaire des événemens qu’il faut l’imputer qu’à son défaut ou de fermeté, ou d’adresse, ou de lumières. M. Mamiani, à un autre point de vue, sans doute, que celui du cardinal Antonelli, mais tout comme lui, s’était chargé d’une tâche impossible alors à remplir ; il était naturel qu’il y échouât comme lui.

L’événement le plus curieux, le moins connu et le plus caractéristique du ministère de M. Mamiani, c’est la lutte qu’il soutint contre Pie IX, et dans laquelle il fut battu par sa sainteté, sur la rédaction définitive à adopter pour le discours d’ouverture du parlement. Je me bornerai, en me servant des pièces officielles et secrètes publiées sur ce sujet par M. Farini, à exposer les phases très singulières de cette lutte. On y jugera tout le ministère et toute la politique de M. Mamiani. — Aux approches du 5 juin, jour fixé pour l’ouverture du parlement, M. Mamiani rédigea un projet de discours d’ouverture, ou, comme on disait jadis chez nous, de la couronne, à mettre dans la bouche du saint père, et destiné à être prononcé en son nom devant les deux chambres réunies par un cardinal délégué. Ce discours, délibéré, suivant l’usage, en conseil des ministres, fut mis sous les yeux du saint père, qui déclara ne pouvoir l’accepter dans l’état où il était, et fit, séance tenante, des corrections que M. Farini fait connaître, et qui, lors même que nous n’en aurions que ce témoignage, suffiraient seules à expliquer l’impossibilité absolue où étaient les libéraux italiens, dont M. Mamiani était le chef, à concilier leurs idées de gouvernement avec les prérogatives du saint-siège sans abaisser les unes et sans blesser les autres.

M. Mamiani faisait dire au pape que c’était avec un plaisir sans mélange (vivo e purissimo compiacimento) qu’il ouvrait le parlement ; Pie IX déclara qu’il ne pouvait avouer de telles paroles. Un peu plus loin, le texte portait : « C’est à vous, messieurs, qu’il appartient d’élever jusqu’au faîte ce grand monument (l’alzare infino al fastigio il gran monumento). » Le saint père vit là une équivoque ; il demanda quel était ce grand monument ? Plus bas le saint père priait l’auteur de toute lumière de verser dans l’esprit des nouveaux législateurs les flots de