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demandez à la maison de Condé, à la maison d’Orléans, quels services les deux Monteil ont rendus à leurs chartriers et quelles lacunes ils ont remplies ! Ce fut le beau moment de ce père vieillissant et de ce fils qui était en pleine possession de sa jeunesse. Ils s’aimaient tant ! Ils se suffisaient si bien à eux-mêmes ! Le savant M. Daunou, qui l’avait vu à l’œuvre, appela le jeune Alexis dans la section historique des archives du royaume, et le père et le fils, en ce moment, virent les cieux entr’ouverts.

Au même instant paraissaient enfin les premiers tomes de l’Histoire des Français des divers états : un grand étonnement et bientôt un vif intérêt s’éleva autour de ce livre ; en pleine Sorbonne, et du haut de la chaire écoutée où M. Guizot parlait en maître, il fut lu un passage du quinzième siècle. Il n’en fallait pas tant pour ramener tous les songes au bercail. Ajoutez une autre fête de cette humble maison, la fête éternelle, éternellement passagère, l’amour ! comme l’écrivait M. Monteil en grosses lettres majuscules. Il arriva en effet que le jeune Alexis, dans ses promenades avec son père (ils allaient dans les champs, au hasard), lui raconta en le tutoyant qu’il était amoureux, et qu’avant deux ou trois ans il espérait venir à bout de sa conquête. — Elle est jeune et jolie, elle est gaie et bonne, elle me sourit, elle danse avec moi ; tu la verras, mon père, tu l’aimeras ! Elle est aussi pauvre que nous, elle est laborieuse comme toi ! — Et le père écoutait, ravi, ces chastes transports. Dans les choses de l’amour, il était aussi peu avancé que l’était son fils, et il lui semblait que son fils allait vite en besogne. Une fois dans ces confidences, il est difficile d’en sortir ; le même nom revient toujours, toujours la même beauté, le même charme. Alexis n’avait pas encore dit un mot de tendresse à la jeune fille qu’il aimait, — et l’aimable garçon, il est mort sans qu’elle se fût doutée de sa tendresse et des vastes projets du père et du fils. Quelle belle maison ils ont bâtie en pleine Espagne à cette fille charmante ! avec quel soin ils cultivaient le petit enclos de cette habitation, éclairée par ces beaux yeux ! Que fallait-il en effet pour acheter, près de Fontainebleau (toujours Fontainebleau !), un petit domaine où ils pourraient vivre sans trop de luxe et sans trop de privations ? — Avec le produit des trois ou quatre premières éditions du quatorzième siècle, on verra le bout de nos domaines, n’est-ce pas, mon père ? — Oui, mon fils, et je doterai ta fille, ma fille, du produit de notre quinzième siècle, et le seizième siècle sera bien malheureux, s’il ne nous aide pas à élever ton fils aîné. Pour notre petit cadet, je réserve le siècle suivant ; à ma paisible vieillesse appartiendra le siècle des bruits et des tempêtes. Allons, courage, Alexis ! Tu le vois, notre fortune avance ; il faut te déclarer, mon enfant. — Demain, mon père, oui, demain ! disait le jeune homme, et de jour en jour, timide, il différait sa demande en mariage, au grand