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« Après avoir visité tant et tant de maisonnettes dont le prix était encore trop élevé pour notre humble fortune, nous revenions à Versailles, mon fils et moi, lorsqu’au pied des hauteurs de Chaillot : — Si nous grimpions là-haut ? me dit mon fils ; que sait-on ? Tel cherche bien loin ce qui est sous sa main. Nous montons. À force de monter du côté de Passy, nous arrivons à une masure exposée au midi ; la maison était délabrée, et le jardin était inculte. On nous demanda justement nos 200 francs, ni plus ni moins. — Tope là ! Et huit jours après, maîtres de nos domaines, nous labourons, nous semons, nous cultivons. Qui nous eût vus nous eût pris pour deux jardiniers à la tâche et qui ne veulent pas perdre une heure de la journée. Il en fit tant, le pauvre enfant, qu’il tomba malade, et peu s’en fallut qu’il ne fût enlevé par la pleurésie. O ciel, je n’avais plus guère que quatorze ans à jouir de sa chère présence ! On lui défendit la bêche ; il reprit la plume, et je fis comme lui. Nous vivions un peu au hasard de quelques écritures, de quelques leçons, de quelques trouvailles aussi, car nous étions deux grands fureteurs dans les débris que la révolution française a laissés après elle, et quand mon fils eut compris les trésors que pouvaient renfermer ces vieux papiers, ces parchemins jaunis, et que ces dépouilles des siècles étaient en effet la parure et l’ornement de l’histoire, il apporta à cette quête une ardeur juvénile. Il avait le tact, il avait le flair de l’antiquaire ; il n’était jamais si content que lorsqu’il avait découvert, dans quelque arrière-boutique, un monceau de chartes, de palimpsestes, de documens inédits voués à l’opprobre de l’épicier. Alors vous l’eussiez vu de toute son ardeur fouiller dans ce monceau de témoignages où le droit féodal, le droit monastique et les municipalités envahissantes avaient laissé leur empreinte à demi effacée. Dans cette poursuite de l’inconnu à travers les titres de noblesse de l’ancienne France, il a fait de merveilleuses trouvailles. Il a sauvé, le sait-on ? d’une ruine complète les cartulaires de Saint-Vincent (Metz), de Saint-André, de Saint-Séverin (Bordeaux), et celui de l’abbaye de Vendôme. On lui doit le recueil des décrétales du XIIIe siècle, et les comptes perdus de tant de villes, de seigneuries, de châteaux, de bibliothèques, et grande quantité de vieux titres dont se sont enrichis plus tard le ministère de l’intérieur, le ministère de la marine et celui de l’agriculture. »


Tel était leur travail. Dans cette chasse ardente, où le succès de la veille annonçait le succès du lendemain, ils trouvèrent un beau jour, au fond d’un vieux coffre, une suite de petits morceaux de papier chargés de notes au crayon. C’était le memento de chaque jour du roi Louis XIV. Le grand roi avait l’habitude d’écrire sur ces feuillets épars la chose qui le frappait au moment même et dont il voulait se souvenir. Ces fragmens précieux, où se retrouve en effet un roi occupé de ce grand art du gouvernement, le plus glorieux et le plus difficile de tous les arts, furent cédés par les inventeurs à la Bibliothèque royale pour le prix de cent pistoles ! Nos deux chercheurs d’anciens mondes ont eu assez souvent de ces bonnes fortunes ; ils ont indiqué à plus d’un gentilhomme ignorant le véritable nom de ses ancêtres ; interrogez les Bellisle, les Mailly, les Maillé, les Chevreuse, les Montmorency ;