Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et M. Monteil de faire bon marché des grandeurs de sa femme, comme M. de Chateaubriand de ses propres grandeurs.

La maison vendue, Annette voulut revoir une dernière fois ces beaux lieux qu’elle avait tant aimés, et la voiture qui les devait emmener partit sans les attendre. En vain courait Annette, son frais chapeau à la main, et montrant à l’aquilon ses belles joues que frappaient les giboulées de mars : il fallut revenir à pied, le père, la mère et l’enfant, et de rire. « Elle prenait si facilement du bon côté les peines de la vie. » Elle était si courageuse et si forte. Hélas ! cette plante un peu frêle, qui avait besoin de vivre à l’air pur et dans la libre campagne, à peine à Paris pour la seconde fois, on la vit bientôt languir à l’ombre funeste de ces hautes maisons semblables à des tours qui ne réparent pas leurs brèches. Annette était une fille des champs ; elle aimait à retrouver au fond des grands bois les visions décevantes de sa jeunesse à peine envolée, et maintenant qu’elle se voyait face à face avec la réalité, elle ne comprenait rien, l’infortunée, à cette vie orageuse des belles-lettres, impuissante à donner à son mari et à son fils leur pain de chaque jour. Ainsi s’éteignit cette douce paysanne intelligente ; elle se mourait sans une plainte, et son pâle sourire encourageait encore les efforts stériles du malheureux attaché à cette glèbe savante dont la moisson reculait toujours. Enfin, quelques heures avant l’heure suprême, elle fut prise de ce mal violent, le mal du pays, le cher souvenir des plaines d’Argos, et elle voulut absolument revoir une dernière fois les villages, les hameaux, les jardins, dont elle savait encore toutes les histoires qu’elle racontait à son foyer sans feu. Ah ! bon père Monteil, qui êtes allé rejoindre enfin votre Annette et votre Alexis, que de fois l’avez-vous pressée de vous raconter ces histoires, si souvent écoutées, pour l’unique plaisir de prêter l’oreille à cette voix fraîche, accentuée, et d’un timbre si doux ! Elle revoyait, dans ces heures sombres, tous les drames et tous les héros de ses campagnes ; elle revoyait l’abbé Buiron se promenant le long du ruisseau, son bréviaire à la main, le vieux Pierre à la porte de sa maison blanchie à la chaux vive et saluant les passans d’un coup de vin nouveau, et le braconnier Peyrabonne, appelant à haute voix M. Dulac. — Vous me donnez bien ce fagot, monsieur Dulac, criait Peyrabonne, et, comme Dulac absent n’avait garde de répondre : — Qui ne dit mot consent, reprenait le Peyrabonne, et il emportait la bourrée à son feu, au grand dommage de M. Dulac. Tels étaient les souvenirs, les refrains de cette chanson printanière, tableaux frais et charmans, visions décevantes. La mort planait au-dessus de ces beaux rêves qu’elle emportait un à un. En même temps s’en allait l’argent du petit domaine, Il n’y avait plus sous l’humble toit des Monteil d’autre travail que le travail de cette lente et souriante agonie. Après bien des hésitations et bien des larmes,