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connaît pas M. Monteil, il a fait son profit de cette bouillie écrite en lettres saxonnes dans une langue dont il ne savait pas le premier mot !

Dans ces fragmens précieux de tous les âges de notre histoire, il a trouvé toutes les parties de son livre ; il a rencontré, dégagée du souci de la guerre, des luttes parlementaires, des querelles religieuses, de l’envahissement du pouvoir royal, la nation ignorée, la nation des agriculteurs, des artisans, des commerçans, des magistrats, la noblesse au dernier échelon, la bourgeoisie et le bas clergé. Il exaltait les choses ignorées ; il glorifiait les forces méconnues ; il racontait les œuvres dédaignées ; lui aussi il aurait pu dire en toute sécurité de conscience : A chacun selon ses œuvres ! Il avait sur le visage, il avait au fond de son ame le contentement et la bonne humeur d’un honnête homme qui accomplit dignement sa tâche de chaque jour à travers les âges successifs de la vie, et rien qu’à le voir il était impossible de ne pas se rappeler cette parole d’un de ces grands capitaines dont il ne voulait même pas prononcer le nom : — qu’il était impossible de se servir d’un homme mélancolique. — A quoi peut être bon d’ailleurs un homme qui est mauvais pour lui-même, et quel contentement peut-on espérer d’un particulier qui n’est jamais content de lui ? C’était pourtant une rencontre singulière et un étrange voisinage, ce grand ennemi de l’histoire-bataille devenu le voisin de campagne de sa majesté l’empereur Napoléon Ier, l’un si pauvre et si gai, l’autre à ce point gorgé de gloire et d’ennui. Il s’ennuyait à poursuivre dans les bois un pauvre cerf, ce roi-empereur qui voulait traquer dans ses neiges l’empire énorme de Pierre-le-Grand et de Catherine II, pendant que, sur la lisière de sa forêt, Mme Monteil attendait, effrayée et contente, que le hasard conduisît au seuil de sa cabane cet homme qui d’un mot les pouvait faire si heureux et si riches… Un emploi de quinze cents francs à la bibliothèque de Fontainebleau, et voilà toute une famille à jamais sauvée. Certes l’empereur et roi a manqué là une belle occasion de réconcilier tout au moins Mme Monteil avec l’histoire-bataille. Il ne vint pas, et cette maison qu’il aurait dû visiter, il fallut bientôt la lui vendre. Oui, cette humble limite des plus humbles désirs, ces vignes et ces pêchers, la chicorée et les œillets, il fallut vendre en bloc tous ces biens, et l’empereur les acheta au prix de 5,000 francs en bel or des contributions de tous les états de l’Europe. « Par devant nous et mon collègue, notaire à Fontainebleau, il a été convenu ce qui suit entre dame Monteil et sa majesté Napoléon-le-Grand, empereur des Français, roi d’Italie, protecteur de la confédération du Rhin. » Tout ce passage rappelle ce beau mouvement des Mémoires de M. de Chateaubriand, laissé pour mort dans les rues de Bruxelles et s’écriant soudain dans une espèce de Te Deum : « Au nom du roi, laissez passer M. le vicomte de Chateaubriand, pair de France, ambassadeur du roi près le Saint-Siège apostolique. »