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Narcissum et florem jungit bene olentis amethi…


Bientôt, hélas ! s’en va cette fortune, disparaît cette abondance, s’éteignent en sanglots ces doux cantiques ; l’âge mûr arrive, escorté de ses deux furies, l’ambition et la paresse. À cette limite fatale s’arrêtent les graves et les mignardises des belles passions de la vie ; ici s’envole le charme, et, de tous ces enfans joyeux dont les voix fraîches faisaient retentir l’écho de leurs franches gaietés, il vous reste… un infirme, un goutteux, une veuve, une mère de quatre enfans, un vieillard, des limbes… quelques tombeaux sans nom !


IV

Nous arrivons ainsi au chapitre important de cette autobiographie intitulée : Moi ! Et si jamais le moi cessa d’être haïssable, si jamais le moi, cette chose ridicule lorsqu’elle n’est pas stupide, prit une forme heureuse et charmante, à coup sûr ce sera dans ces lignes écrites d’une main ferme et d’un courage viril par ce vieillard dont la personnalité se compose uniquement du souvenir de sa femme et de son fils, deux êtres adorés qu’il a perdus dans la force de l’âge, et dont la mort l’a laissé seul, pauvre et nu, dans une vie austère où le travail et la pauvreté se mêlent et se confondent tout le jour et tous les jours.

Encore une fois, on n’étudie ici que l’homme isolé de ses œuvres ; c’est un exemple et non pas une gloire que nous cherchons dans ces fragmens épars d’une vie admirablement remplie par la science et le travail. Ce fut le 25 juin 1769 que vint au monde en sa bonne ville de Rhodez l’historien des Français des divers états. Un des premiers spectacles dont il se souvenait en remontant à sa première enfance, c’était d’avoir assisté au service commémoratif du roi Louis XV ; il revoyait la haute pyramide ornée de fleurs de lis en papier d’argent ; les premiers noms qu’il entendit prononcer, il ne les a jamais oubliés : Washington, Lafayette, le comte d’Estaing ! « Ils étaient dans toutes les bouches, au fond de tous les verres ! » Ces souvenirs de l’enfance ont l’honneur de vivre et de mourir avec nous. Tout compte alors dans ces débris des printemps envolés : les premiers mystères de l’alphabet, les premiers sourires de la vieille grand’mère. Il y avait dans la ville de Rhodez un vieux cloître, et dans ce vieux cloître, où se plaisait l’enfant, vivait le vieux boulanger de MM. les chanoines, M. Bonald. La veille de chaque fête carillonnée, M. Bonald (c’était l’usage) pétrissait et mettait au four certains pains de seigle du poids de trois livres, à trois cornes, comme au temps du roi Dagobert. Ces pains, dont les enfans étaient très friands, s’appelaient des auberts. Quand passait le