Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/619

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« La dernière fois que je le vis, je le rencontrai sur le pont du Pecq (30 décembre 1815) ; il allait à Saint-Germain, moi j’allais à Paris ; il était à pied, j’étais à pied ; il s’obstina à rebrousser chemin ; il avait, disait-il, affaire à l’hôpital. En vain je le prie et le supplie de venir s’installer dans ma chambre, où je le veux entourer des soins les plus tendres ; il voulut absolument entrer à l’hôpital. Je le menai à l’hospice Saint-Louis, où il fut reçu dans le service même de M. Alibert. J’étais alors ce que j’ai toujours été, un homme pauvre et gagnant chaque jour son pain de chaque jour. J’habitais à Saint-Germain, j’avais une place à Saint-Cyr ; je venais voir mon frère à Paris. Quand je retournai à Saint-Cyr, à l’époque des examens, je recommandai que toutes mes lettres me fussent envoyées à l’École militaire. Une de ces lettres fut égarée, et le jour même où tout joyeux j’allais pour chercher et reprendre mon frère… il était mort. — Monsieur, me dit un malade, son voisin, vous venez trop tard, on l’a passé cette nuit, à deux heures. »

Il était mort, le pauvre Fontenilles, appelant son frère à son aide ; au plus fort de cette agonie horrible, il racontait son enfance heureuse et les respects dont la maison maternelle était entourée. Dans une dernière convulsion, il se dressa sur son lit pour arracher l’étiquette funèbre où son nom était attaché. À ces affreux spectacles, on se rappelle malgré soi ce conseil d’un philosophe cynique : « Il faut se munir dans la vie, ou de raison pour se conduire, ou d’un licou pour se pendre. » Eh ! oui, ceci est l’histoire universelle de tous les malheureux qui dépensent leur vie en ces incroyables négligences. Pas de milieu, le suicide ou l’hôpital. À quoi donc ont servi à cette famille, vous le voyez, tant de soins, tant d’exemples, tant de leçons du père et de la mère ? A produire un vaniteux, un poltron, un paresseux, trois braves gens parfaitement inutiles, un fardeau, inutile pondus ! Ce n’est pas ceux-là, même dans leur misère, que l’on peut comparer à ces pièces tragiques, mais éclatantes, dont parle un poète ; la fin est tragique, mais le commencement et le milieu ont été sans éclat.

Pour se reposer de ces histoires lamentables, M. Monteil rencontre, il est vrai, quelques douces et touchantes figures, sa sœur Marie et sa sœur Nanette, grande et jolie : à dix-sept ans, elle fut mariée au jeune M. Salgues, officier des eaux-et-forêts ; mais l’histoire des deux sœurs n’est pas faite pour arrêter un lecteur quelque peu gâté, comme ils le sont tous, par les grandes machines philosophiques et littéraires. De ces filles bien nées et bien humbles, l’histoire est la même en toute famille, à chaque époque. Au départ, tout est beau et charmant ; on n’entend que le doux concert de ces voix enfantines mêlées aux paroles maternelles ; la chaste prière et les douces chansons remplissent de leurs divines mélodies ces premières bouffées du printemps qui guette à l’orient le lever de l’aurore ; à ce cantique intime des cœurs heureux et des ames innocentes, la fleur mêle ses parfums, l’oiseau mêle ses chansons :