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Monteil le préservèrent de la tentation. Il se rappela le haut et puissant seigneur de Maffettes et son argenterie brisée, et il déclina l’honneur de l’honorable procès qu’on voulait lui intenter. Il racontait très bien cette anecdote, ajoutant cependant que sa mère était devenue une dame deux ou trois ans après avoir mis au monde son troisième fils, fils de M. Monteil, avocat, et de mademoiselle Monteil, son épouse, disait le registre. Être une dame autrefois, et surtout à Rhodez, cela avait un sens très net et très précis. « La femme d’un riche marchand, d’un notaire, d’un médecin, d’un avocat, était mademoiselle ! et la nation des artisans pour rien au monde ne l’eût appelée madame ; il n’y avait que les femmes des nobles et des conseillers au présidial qui eussent le droit de prendre le titre de dame ! Aussitôt que mon père fut conseiller du roi, ma mère fut dame, au vif contentement de mon père, qui tenait en grand honneur les moindres distinctions. »

Pour compter déjà deux ou trois cents ans d’existence, cette maison de la rue Neuve, à Rhodez, n’en était pas plus gaie et plus claire ; elle était bâtie en grès noirâtre, et les croisées en croix de pierre rappelaient les temps de la ligue, et même le temps du bon roi Louis XII. Plus tard, on fit la dépense utile d’ouvrir tout-à-fait les fenêtres, et on les dégagea de la croix qui obstruait le jour. Dans ces murs, la mère de famille était née ; elle y a passé son enfance, sa jeunesse, son âge mûr ; elle y est morte. Enfant, elle avait eu deux aventures dans cette maison. Une fois elle était montée sur l’appui de la boutique de son père au moment où passait en voiture M. de Tourouvre, évêque de Rhodez ; elle fit même au prélat une si belle révérence qu’il lui dit avec un beau geste : Bonjour, petite ! — Autre aventure : dix ans plus tard (elle était encore toute jeunette, mais on l’appelait déjà la belle Marie), le ruisseau de la rue avait subitement grossi, comme la belle Marie revenait de l’église ; elle hésitait à franchir l’onde noire, lorsque M. le juge-mage, en grande tenue, prit la belle enfant sous les deux bras et la porta de l’autre côté de l’eau. Il ne faudrait pas croire cependant que Mme Marie ait fait parler d’elle à outrance. Elle était si réservée et si modeste, en dépit de ces deux triomphes, qui auraient fait tourner la tête à toute autre fille, que jamais on ne put lui persuader de venir danser aux violons dans le beau salon du père de Jean Monteil. Et pourtant ce Jean Monteil n’avait guère alors que vingt-trois, vingt-quatre ans ; il était la coqueluche des beautés de la ville, et pas une mère qui ne le couchât en joue pour sa fille ! En vain le père de Jean Monteil invitait Marie avec sa mère, il lui disait que Mme une telle y serait, et Mme une telle, et qu’on entendrait sur sa vielle Ternot le ménestrel, Ternot de Longoustovi ! Marie Mazet n’écoutait rien de cette oreille-là, ce que voyant, et qu’elle était la plus sage comme la plus