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de temps à autre ils disaient tout bas à leur ancien maître : Prenez garde ! hâtez-vous ! fuyez !… Jean Monteil ne voulait rien entendre. Un jour, il apprit que le fils de la ravaudeuse était accusé comme aristocrate ; un autre jour, il vit mourir Jérôme Delpech, emporté par le typhus des prisons. Un jour enfin, on le vint prendre en sa maison ; il traversa, sans rencontrer un geste de sympathie, un regard de pitié, ces rues désertes, où les chiens même n’osaient plus aboyer. Il était perdu cette fois, il appartenait au bourreau ! Dans cette église des cordeliers, où naguère il chantait les vêpres du haut de sa stalle en bois de chêne, il rencontra deux vieilles femmes agenouillées sur les débris de l’autel, la Baulèze et une bonne vieille qui vendait des oublies aux enfans ! La ravaudeuse avait été jetée en cette prison, en sa qualité de mère d’aristocrate, de l’aristocrate Baulèze ! La marchande d’oublies chantait le Veni Creator ! — La chute de Robespierre a sauvé Jean Monteil, et tant d’autres ! Il sortit de sa prison, il en sortit ruiné ou peu s’en faut. En retrouvant un peu de liberté, il retrouva le courage ; il vendit sa maison, il prit congé de la ville, il se retira dans les champs, emportant ses enfans, ses livres, son christ d’ivoire, sa tapisserie en toile peinte, au prix de trois francs l’aune, par quelque Terhurg vagabond qui avait jeté sur ces tentures rustiques, dans un pêle-mêle harmonieux, les fruits et les fleurs de son caprice au milieu des neiges et du soleil de sa création. Dans cette maison des champs s’arrangea et se blottit l’humble famille ; on vécut de rien, on vécut de peu ; on attendit patiemment des jours meilleurs. Or voici comment s’aperçut Jean Monteil que l’ordre revenait peu à peu. Son fils aîné était un des employés de la ville, et quand le jeune homme avait à voyager, on lui requérait un cheval : on vivait alors en pleine réquisition. Tant que la terreur fut à l’ordre du jour, la réquisition requérait les plus beaux chevaux de la contrée ; peu à peu le requérant n’obtint que les mauvais, et bientôt après il fallut se contenter des plus rétifs. — Ah ! disait Jean Monteil, Dieu soit loué ! il me semble, monsieur mon fils, que votre municipalité ne fait plus peur à personne… Un jour enfin, le jeune homme vint… à pied ! — Bon ! dit le père en riant de toutes ses forces, voilà la réquisition à vau-l’eau !

Tel était le chef de cette famille abandonnée à ses bons instincts, depuis que la mère était morte, au commencement des années sombres, emportant avec elle la vraie et sincère fortune de tous ces êtres de sa tendresse, que le bon Dieu lui avait confiés !


II

Elle mourut, dit M. Monteil, en parlant de sa mère (et ce voile funèbre ne gâte rien à l’énergie, à la beauté de cette douce image), elle