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peut mettre sur pied. — Il peut mettre sur pied sept millions d’hommes, s’écrient-ils avec désespoir, et nous, nous ne pourrons jamais dépasser le chiffre de quatre cent cinquante mille ! Il y a à l’heure présente sur le continent quatre millions de troupes, et nous n’en avons que deux cent mille ! — En un mot, la panique est générale. Les seuls journaux qui osent se railler de ces craintes, ce sont les journaux des libres échangistes, qui s’efforcent de ne pas abandonner leurs espérances de réductions militaires et leurs chimères du congrès de la paix, et qui se sont fait vertement tancer, à ce propos, par M. Roebuck, organe des vieux radicaux patriotiques. D’ailleurs, cette crainte n’est pas seulement une superstition populaire, elle trouve de l’écho dans les régions du gouvernement. Les préparatifs de défense continuent ; vingt-trois mille fusils ont été commandés à Birmingham ; Sheerness, Chelsea, Portsmouth, ont été fortifiés ; la flotte de l’amiral Parker a été rappelée. Si l’Angleterre est tout entière en proie à de singulières alarmes, il est juste aussi de reconnaître que l’esprit patriotique, remué jusque dans ses dernières profondeurs, éclate avec une force et une unanimité surprenantes.

Rien n’est encore décidé malheureusement quant à la querelle des mécaniciens et de leurs patrons, et l’on ne peut annoncer avec certitude la fin de cette crise déplorable. Les ateliers se ferment partout à Londres, à Manchester, à Liverpool. Quelques patrons, plus timides ou plus concilians, ont accepté les conditions proposées par l’Amalgamated society ; mais le nombre en est petit, et à l’heure qu’il est, vingt-cinq mille hommes au moins vivent, soit sur les fonds réunis par la société, soit sur leurs épargnes mêmes. Les ouvriers mécaniciens ont fait appel à une souscription volontaire dans le public ; mais leur projet n’a jusqu’à présent obtenu aucun succès. La dernière tentative de conciliation a été brisée par la lettre de lord Cramworth à lord Ashburton et par le refus du dernier et de lord Ingestree de s’ériger en arbitres dans le différend. Et ici nous ne pouvons, tout en blâmant l’acte en lui-même, nous empêcher de comparer la conduite tenue par les ouvriers mécaniciens anglais et la conduite qu’auraient tenue, en pareil cas, des ouvriers français. Tout s’est passé et se passe paisiblement, légalement, comme il convient dans un pays de libre opinion et de garanties individuelles. Les deux partis se sont rangés en face l’un de l’autre, et un arbitrage a été proposé par les ouvriers, savez-vous à qui ? Voilez-vous la face, ô communistes français ! — A un comité d’aristocrates qui serait composé de lord Shaftesbury, naguère si connu, sous le nom de lord Ashley, par son dévouement aux classes pauvres et par son zèle religieux ; de lord Cramworth, de lord Ashburton et de lord Ingestree. Malheureusement quelques-uns des honorables membres désignés ont cru devoir refuser le rôle d’arbitres dans cette question délicate, où l’injustice est manifestement du côté des plus pauvres, et par conséquent des plus intéressans. Dès-lors tout moyen de conciliation a été abandonné ; les chefs d’industrie ont fait une déclaration publique, par laquelle ils annoncent qu’ils ne peuvent consentir aux exigences de l’Amalgamated society, qui portent atteinte à la liberté des contrats, et qui rendent impossible toute direction de travail dans les ateliers. Cependant un sentiment tourmente ces malheureux ouvriers mécaniciens, un sentiment où l’idée du travail se mêle à l’idée de la patrie, et qui se trahit dans tous leurs meetings : « Les ateliers sont fermés, mais il faut pourtant que le travail commandé