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cela ne prouverait pas trop grand’chose ; la question est de savoir si on agit selon la justice. Il est évident, à ce point de vue, qu’il serait loisible au premier venu, même en France, de s’emparer des œuvres des plus éminens esprits contemporains. Sans doute il consommerait là une action qui a son nom dans le code ; mais il accomplirait, lui aussi, une œuvre de civilisation et de propagande intellectuelle, sous laquelle il pourrait abriter son honnête trafic. Il est bon de descendre de ces hauteurs. La question qui est en jeu pour les défenseurs mêmes de la contrefaçon, ce n’est point une question de propagation des idées, c’est plus simplement une question de spéculation et d’industrie : — industrie sans honneur pour la Belgique elle-même, — peu sérieuse dans sa ténacité intéressée, puisqu’elle est forcée, pour vivre, de recourir aux plus singuliers expédiens, et surtout peu morale, puisque c’est par là précisément que s’est propagé en Europe le venin de toutes nos corruptions d’esprit. Voilà comment l’industrie belge est l’instrument de la civilisation ! C’est en infestant le monde des Mystères de Paris, du Juif errant, des œuvres de Parny, des Déguisemens de Vénus, et, dans un autre genre, des œuvres de Fourier, de M. Louis Blanc ou de M. Proudhon. Il y a même ici pour la Belgique, il faut le dire, une question d’intérêt moral à supprimer cet engin de corruption. Le parti libéral ne saurait rester au-dessous du parti catholique, qui s’est depuis long-temps prononcé à ce sujet. Les écrivains belges eux-mêmes sont singulièrement intéressés à la disparition de la contrefaçon, pour avoir du moins le privilège de se produire dans leur pays, de créer peut-être une littérature nationale qui ne saurait vivre dans l’état actuel. Il y a ainsi avantage pour tous à ramener cette situation irrégulière, sans équité, qui existe depuis longtemps, à des conditions normales, où le droit de chacun soit mutuellement reconnu et sanctionné. Les peuples aujourd’hui peuvent varier sur les formes de leur organisation politique. Il est des principes généraux, des droits essentiels qui sont communs à tous. Tel est le droit de propriété. Nous ne croyons pas que le gouvernement belge puisse être disposé à le méconnaître au profit d’une industrie sans racine et sans avenir.

Si l’on avait pris au mot les assertions de la presse anglaise, les démêlés récens de la France avec le Maroc n’auraient point été tranchés par l’expédition brillante de la marine française contre les pirates de Salé. Bien au contraire, l’empereur du Maroc n’aurait songé qu’à en tirer une éclatante vengeance ; il aurait mis son armée sur pied ; déjà l’on affirmait qu’elle était en marche vers la frontière de l’Algérie, et nos voisins d’outre-Manche prenaient plaisir à nous prédire que nous ne pourrions nous tirer d’affaire à moins d’une seconde bataille d’Isly. Tout le bruit qu’ils ont fait à cet égard ne nous a point surpris nous connaissons de longue date les sentimens qui leur inspiraient tant de belles prophéties, et nous savons qu’ils perdent facilement de vue toute notion de justice, lorsqu’il s’agit des conflits qui s’élèvent entre la France et leurs amis du Maroc. Nous aurions pu réfuter plus tôt les erreurs que la presse anglaise a essayé de répandre sur les suites de la destruction de Salé, car il était facile de les prévoir dès le lendemain du bombardement : nous avons préféré attendre que les faits eux-mêmes eussent parlé, et nous pouvons aujourd’hui affirmer que le succès diplomatique est venu couronner le succès militaire.