Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/576

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le fait auquel elles se rattachent a fixé depuis cent cinquante ans la conduite de la France à l’égard de l’Espagne, et ouvert une phase nouvelle dans nos relations internationales. En effet, à dater du testament de Charles II, l’Espagne, brusquement isolée du reste de l’Europe, devient comme le satellite de la France, et la politique de Louis XIV se continue jusqu’à nos jours. En 1763, le duc de Choiseul resserre par le pacte de famille les liens qui unissent les deux nations, et quand l’Espagne, en 93, déclare la guerre à la France, c’est parce que la France a déchiré ce pacte et versé le sang d’un Bourbon ; mais, depuis un siècle déjà, les intérêts des deux nations se sont tellement identifiés, que la monarchie catholique de Philippe II finit par s’allier à la république des disciples de Voltaire et de Rousseau. Quand Napoléon veut reconstituer, pour une dynastie nouvelle, un nouveau pacte de famille, c’est encore le testament de Charles II que défend l’Espagne ; en 1823, lorsqu’une armée française franchit les Pyrénées, c’est pour défendre contre la révolution les descendans de Charles II, et rendre à l’Espagne ce qu’elle avait tenté de faire en 93 contre la république en faveur des descendans de Louis XIV. Enfin, de notre temps même, la pensée du grand roi reparaît encore dans la question des mariages espagnols du dernier règne ; et certes, quand on voit à travers tant de régimes divers et dans des circonstances si différentes les deux nations tourner sans cesse dans le cercle que leur avait tracé, en l1700, la politique du cabinet français, en peut dire que cette politique était en quelque sorte dans la fatalité des choses.

Après avoir exposé, en les éclairant de faits nouveaux, les complications produites par le testament de Charles II, M. Moret montre quelle fut, après l’acceptation de Louis XIV, l’attitude des divers états de l’Europe vis-à-vis de la France. Cette attitude devait être hostile, car, parmi ces états, quelques-uns perdaient une occasion magnifique de s’agrandir ; tous redoutaient Louis XIV, qui semblait marcher droit à la monarchie universelle, et une ligue formidable, qui reçut le nom de grande alliance, ne tarda point à se former contre lui. La Hollande, l’Angleterre, l’Autriche, l’Allemagne, la Savoie, entrèrent dans cette ligue la Hollande, parce qu’elle avait à venger les désastres de 1672 et qu’elle craignait de voir la France arriver jusqu’à ses frontières ; l’Angleterre, parce qu’elle avait à défendre contre l’influence française à Madrid le grand commerce qu’elle faisait dans la Péninsule et dans les colonies américaines, et que de plus, comme à cette date elle ne possédait point encore Gibraltar, elle pouvait voir ses communications avec le Levant interceptées par le blocus de la Méditerranée. Quant à l’Autriche, elle ne pouvait laisser perdre sans tirer l’épée ses droits de succession, et elle entraîna l’Allemagne, à l’exception de la Bavière ; la Savoie se joignit à la coalition dans l’espoir d’arracher, au milieu de la lutte, un lambeau du Milanais, de ce beau duché qu’elle n’a jamais cessé de convoiter dans tous les temps, y compris le nôtre. La Prusse, de son côté, réclamait des droits sur la Gueldre. L’Europe fut bientôt sous les armes, et la grande alliance vint se heurter contre la France.

M. Moret le dit avec raison : quand on suit, au milieu de ses péripéties sanglantes, cette guerre qui s’anime par degrés jusqu’à la fureur, cette guerre où les beaux triomphes de Friedlingen, d’Hochstett, de Villa-Viciosa, d’Almanza, de Denain, rachètent, à force de gloire et de sang, Blenheim, Ramillies, Turin