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circonstances, repousser avec une obstination singulière les améliorations les plus utiles proposées par le gouvernement. On les voit sans cesse opposer aux plus justes réformes les coutumes, les privilèges, le danger des innovations. Chacune des classes qui les composaient n’agissait que sous la pression de l’égoïsme. Ainsi, en 1694, on demande aux états du Languedoc des fonds pour le desséchement des marais au milieu desquels Aigues-Mortes se trouvait comme submergée ; ces états, composés de grands propriétaires, refusent les fonds sous prétexte que, les marais étant desséchés et convertis en terres arables, le prix du blé baissera considérablement, et pour obtenir les subsides nécessaires à cette grande entreprise il faut que le gouvernement s’engage à ne faire cultiver que le tiers des terres rendues à l’agriculture et à planter le reste en bois. Ces mêmes états avaient déjà repoussé l’uniformité des poids et mesures et fait proscrire l’indigo.

Dans les villes, des faits analogues se produisaient. Les institutions municipales, qui, au XIIe et au XIIIe siècle, suppléaient, comme institutions de paix et d’ordre, à l’absence des lois et du pouvoir central, et qui formaient le contrepoids de la féodalité, avaient perdu depuis long-temps déjà leur importance politique et législative. La plupart d’entre elles ne faisaient que sanctionner des usages depuis long-temps déjà tombés en désuétude ; elles étaient restées complètement stationnaires depuis plusieurs siècles, et, sous Louis XIV, elles ne représentaient plus que les derniers vestiges d’un fédéralisme désormais impuissant. Les privilèges que les lois, à diverses époques, avaient accordés aux villes formaient un obstacle continuel à l’action du pouvoir central. Les unes, sous prétexte qu’elles avaient été dispensées du logement des gens de guerre, ou qu’elles devaient se garder elles-mêmes, refusaient de recevoir en garnison les troupes royales ; d’autres invoquaient l’exemption du ban et de l’arrière-ban, pour se dispenser du service militaire ; d’autres encore refusaient l’impôt en s’appuyant sur leurs vieilles immunités. Le droit individuel se trouvait de la sorte aux prises avec le droit général, et l’intérêt du pays était compromis par les intérêts de clocher. Des usages qui avaient pris naissance dans la barbarie même du moyen-âge s’étaient perpétués au milieu des progrès toujours croissans de la civilisation. Ainsi, dans certaines villes, en vertu du vieux principe de solidarité établi entre les membres d’une même association municipale, tous les habitans étaient individuellement responsables des dettes de leurs compatriotes, et ils se trouvaient de la sorte placés constamment sous le coup de la contrainte par corps pour des engagemens qu’ils n’avaient point contractés. La même solidarité existait, en plusieurs lieux, pour les dettes municipales, et les choses en étaient venues à ce point que, dans la ville de Béthune entre autres, les bourgeois n’osaient plus sortir de chez eux. Les communes, par suite d’un désordre extrême et de l’absence de tout contrôle, étaient en déficit depuis plusieurs siècles. Les bourgeois riches achetaient à vil prix les créances ; puis, pour se rembourser, ils s’attribuaient les revenus municipaux, et s’emparaient même quelquefois des propriétés patrimoniales. Il en était de même des villages, qui, placés en dehors de toute surveillance administrative, s’endettaient comme les villes, et aliénaient leurs propriétés en les donnant en gage à des prêteurs. Le gouvernement, par une série de mesures sagement combinées, combattit victorieusement les abus. Les attributions des magistrats municipaux furent nettement définies et nettement