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de toutes les classes qui partageaient la nation l’aristocratie la plus haute et la plus populaire à la fois, celle de l’intelligence, du courage, du talent.

On le voit, au début de son règne, en ce moment de féconde et puissante jeunesse, Louis XIV a justement mérité le nom de grand, et ce n’est pas seulement, comme on l’a répété tant de fois, parce qu’il a protégé les lettres, car les lettres ne font pas seules la grandeur d’une nation et celle de l’homme qui la gouverne, mais aussi parce qu’il a marché résolûment en tête de ses contemporains dans la voie du progrès. Quand la société du moyen-âge était encore, par ses abus, vivante autour de lui, il a posé les premières bases de l’administration moderne ; il a donné à l’industrie un essor inconnu jusqu’alors au milieu des entraves du système corporatif, et rétabli le principe d’autorité en présence de la fronde. Esprit essentiellement pratique, il tourna ses vues et ses efforts vers des améliorations profitables pour tous, et si, durant ce long règne, mêlé de tant de gloire et de désastres, l’histoire a fait peser sur lui seul la responsabilité de bien des fautes, — mieux renseignés aujourd’hui, nous devons aussi, pour être équitables, faire remonter jusqu’à lui la responsabilité du bien, car il en prit toujours l’initiative, et il lui fallut pour l’accomplir une volonté et une fermeté bien grande, les réformes les plus utiles ayant la plupart rencontré dans la nation une vive résistance. Ce fait, trop peu remarqué, ressort avec la dernière évidence de la publication de M. Depping intitulée : Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, qui fait partie des Documens inédits sur l’histoire de France.

Pour maintenir dans tous les services l’ordre et la régularité, chaque secrétaire d’état faisait inscrire dans des registres non-seulement tous les actes émanés de son département, mais aussi tous les rapports, mémoires ou lettres qui lui étaient adressés. Un assez grand nombre de ces registres, y compris ceux du secrétariat de la maison du roi, les plus importans de tous, sont arrivés jusqu’à nous, et, malgré de nombreuses lacunes, les diverses collections en sont encore assez complètes pour intéresser vivement les amis de notre histoire nationale. Ces différentes collections, dispersées dans un grand nombre de dépôts, bibliothèques publiques ou archives des ministères, ont été attentivement explorées par M. Depping, et elles ont fourni à cet infatigable travailleur les élémens de la publication dont nous venons de parler, publication qui doit comprendre quatre volumes, et qui embrassera dans son ensemble les administrations provinciales et municipales, la justice, les affaires du parlement et autres corps judiciaires, les finances, le commerce, les travaux publics, en un mot tout ce qui concerne dans l’ensemble et le détail le gouvernement d’un grand peuple. Le premier volume, qui se rapporte aux états provinciaux et aux affaires municipales et communales, contient, outre une bonne introduction de l’éditeur, un grand nombre de pièces originales qui modifient sur bien des points une foule d’opinions historiques depuis long-temps accréditées, et qui montrent combien à cette date était profond le chaos des institutions nationales. Au premier rang de ces institutions se placent, on le sait, les états-généraux, qui se composaient de députés des trois ordres, votaient des impôts, exprimaient des vœux sur des objets d’utilité publique, et jouaient quelquefois, dans des circonstances solennelles, le rôle de conseillers de la royauté. Convoqués pour la première fois sous Philippe-le-Bel en 1302, à