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villes, les états provinciaux, les grands dignitaires. Les franchises accordées par les rois aux communes, pour faire contre-poids à la puissance de la noblesse, avaient fini par faire obstacle aux rois eux-mêmes ; les parlemens se posaient en rivaux de la couronne ; les états marchandaient l’impôt : il fallait choisir entre le désordre et le pouvoir absolu. Le choix d’un homme tel que Louis XIV ne pouvait être douteux ; mais, dans la période ascendante et glorieuse de son règne, le pouvoir absolu, il faut le reconnaître, ne fut entre ses mains que l’instrument du progrès. En vertu de sa maxime favorite, « que l’assujettissement qui met le souverain dans la nécessité de prendre la loi de ses peuples est la plus grande calamité où puisse tomber celui qui gouverne, » il ne convoqua jamais les états-généraux et ne consulta les notables qu’une seule fois pour des questions de commerce. Il fit disparaître la vieille rivalité des parlemens par un simple changement de mots, en substituant à leurs titres de cours souveraines celui de cours supérieures, et il les repoussa de la politique pour les enfermer dans des attributions définies, comme s’il eût prévu un siècle à l’avance que le signal de la révolution qui devait renverser son trône et sa race partirait de cette haute magistrature qui, à son tour, et la première en France, substitua le mot citoyen au mot sujet. Les gouverneurs, des provinces, qui jusqu’alors s’étaient constitué dans leurs gouvernemens respectifs de véritables royautés au petit pied, furent, comme les parlemens, réduits à un rôle secondaire et passif. Louis XIV leur enleva le maniement des deniers publics, le commandement des troupes, et il centralisa toute l’administration en plaçant sous l’action immédiate des ministres les intendans, qui répondent à nos préfets modernes et qui représentaient le pouvoir central dans les provinces, comme les préfets le représentent aujourd’hui dans nos départemens. Ainsi les agens directs du gouvernement, qui n’avaient, depuis Charlemagne jusqu’à Louis XIII, sous le nom de missi dominici ou maîtres enquêteurs, rempli que des missions temporaires, furent organisés d’une manière fixe, et le monarque réalisa dans la pratique cette pensée sur laquelle il insistait souvent : que le chef d’un grand état doit être toujours et partout présent à ses sujets. L’administration qui devait imprimer à tous ces rouages un mouvement uniforme et régulier fut soumise elle-même à un remaniement complet. Jusqu’alors, chaque secrétaire d’état avait embrassé confusément, dans une circonscription géographique tout-à-fait arbitraire, les affaires intérieures et étrangères, politique, finances, police, cultes, travaux publics, etc. Il en résultait une confusion extrême, les secrétaires, au nombre de quatre, ayant dans leurs attributions, l’un la Normandie, la Picardie et l’Ecosse, l’autre la Provence, le Languedoc, la Guyenne, l’Espagne et le Portugal, un autre encore le Dauphiné, le Piémont, Rome, Venise et l’Orient. Louis XIV substitua à ces attributions purement géographiques un ordre rationnel, basé sur les spécialités elles-mêmes, marine, guerre, finances, relations extérieures, et il introduisit dans le gouvernement la division du travail, se réservant pour lui-même et ses ministres la haute direction. Tous les quinze jours, il présidait le conseil des dépêches, conseil qui se tenait toujours dans le plus grand secret. Le conseil d’état, institué par Philippe-le-Long en 1318 sous le nom de conseil étroit, fut partagé en trois sections : à la première furent attribuées les questions politiques et religieuses, à la seconde les finances, à la troisième le contentieux.