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révélait à chaque occasion. Athanaric, calculant toutes les chances de la guerre actuelle, avait proposé aux Visigoths de faire retraite dans les Carpathes jusqu’au plateau abrupte et presque inaccessible appelé Caucaland, si leur position se trouvait forcée : c’était là son plan ; Fridighern et Alavive en eurent aussitôt un autre. Ils conseillèrent aux tribus visigothes de se réfugier de l’autre côté du Danube, sur les terres romaines, où l’empereur, disaient-ils, ne leur refuserait pas un cantonnement. Constantin n’avait-il pas ouvert la Pannonie aux Vandales Silinges lorsqu’ils fuyaient devant leurs armes ? Valens ne ferait pas moins pour les Goths, qui trouveraient dans quelque endroit de la Mésie ou de la Thrace un sol fertile et de gras pâturages pour leurs troupeaux ; rien ne les y troublerait plus, car ils auraient mis une barrière infranchissable, le Danube et les lignes romaines, entre eux et les démons qui les poursuivaient. Quant aux Romains, ils y gagneraient les services des Goths, qui n’étaient certes point à dédaigner. Voilà ce que répétaient les adversaires d’Athanaric : là-dessus la discorde éclata. Athanaric, ennemi de Rome depuis son enfance et fils d’un père qui lui avait fait jurer sous la foi d’un serment terrible qu’il ne toucherait jamais de son pied la terre des Romains, Athanaric, qui avait tenu religieusement son serment, combattit la proposition de Fridighern comme un outrage pour sa personne et une lâcheté pour les Goths. Fridighern put lui répondre (car c’était là l’opinion de son parti) que si les persécuteurs des chrétiens, ceux qui naguère les faisaient périr sous le bâton, les étouffaient dans les flammes, les attachaient à des solives en forme de croix pour les précipiter ensuite, la tête en bas, dans le courant des fleuves, que si ceux-là pouvaient justement craindre de toucher du pied une terre romaine, il n’en était pas de même des persécutés. L’enfant de Christ était frère de l’enfant de Rome ; on l’avait bien vu au temps du martyre, lorsque les bannis d’Athanaric trouvaient au-delà du Danube non-seulement un refuge toujours ouvert et du pain, mais des consolations, en un mot une hospitalité fraternelle. Le vieil et vénérable Ulfila, apôtre et oracle des Goths, contribuait à répandre ces illusions, qu’il partageait lui-même aveuglément.

Ulfila, dont le nom est resté si célèbre dans l’histoire des Goths, tirait son origine de la Cappadoce. Comme les tempêtes emportent au loin sur leurs ailes le germe des meilleurs fruits, la guerre et le pillage avaient apporté chez les Visigoths les semences du christianisme des familles romaines traînées en captivité leur avaient donné leurs premiers apôtres. D’une de ces familles sortait Ulfila. Né en Gothie, élevé parmi les barbares, sous les yeux d’un père chrétien et romain, il unit dans son cœur le culte de Rome chrétienne à un amour dévoué pour sa nouvelle patrie. Des liens de reconnaissance personnelle le