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passa le Volga sous la conduite d’un chef nommé Balamir. Elle se jeta d’abord sur les Alains, peuple pasteur qui possédait la steppe située entre ce fleuve et le Don ; ceux-ci résistèrent quelques instans, puis, se voyant les plus faibles, ils se réunirent à leurs ennemis, suivant l’usage immémorial des nomades de l’Asie. Franchissant alors sous le même drapeau le gué des Palus-Méotides, Huns et Alains se précipitèrent sur le royaume d’Hermanaric. Le roi goth, toujours malade de ses blessures, essaya d’arrêter ce tourbillon de nations, comme dit Jornandès ; mais il fut repoussé. Il revint à la charge, et fut encore battu ; ses plaies se rouvrirent, et, ne pouvant plus supporter ni la souffrance ni la honte, il se perça le cœur de son épée. Le successeur d’Hermanaric, Vithimir, périt bravement dans un combat, laissant deux enfans en bas âge, que des mains fidèles sauvèrent chez les Visigoths. Les Ostrogoths n’eurent plus qu’à se soumettre. Les Visigoths, s’attendant à être attaqués à leur tour, s’étaient retranchés derrière le Dniester sous le commandement du juge ou roi Athanaric, le plus grand de leurs chefs ; mais les Huns, avec leurs légères montures, se jouaient des distances et des rivières. Un gros de leurs cavaliers, avant découvert un gué bien au-delà des lignes des Goths, passa le fleuve par une nuit claire, et, redescendant la rive opposée, surprit le quartier du roi, qui lui-même eut peine à s’échapper. Ce n’était qu’une alerte ; néanmoins ces mouvemens impétueux, imprévus, dérangeaient l’infanterie pesante des Goths et la tenaient dans une inquiétude fatigante. Le Pruth, qui se jette dans le Danube et qui longe à son cours supérieur les derniers escarpemens des monts Carpathes, semblait offrir une ligne de défense plus sûre : Athanaric y transporta son armée. Profitant des leçons des Romains, il fit garnir de palissades et d’un revêtement de gazon la rive droite de la rivière depuis son confluent jusqu’aux défilés de la montagne ; avec ce bouclier devant lui, comme s’exprime un contemporain, et derrière lui la retraite des Carpathes, il espérait se garantir ou du moins tenir bon long-temps : mais la chose tourna tout autrement qu’il ne pensait.

Le danger commun aurait dû réunir les Visigoths, chefs et tribus : le danger commun les divisa. Tout, chez ce peuple, était matière à contestation : la religion comme la guerre, l’attaque comme la défense, et cette division tenait surtout à des changemens profonds survenus dans ses mœurs depuis trois quarts de siècle. Une partie avait embrassé le christianisme, l’autre restait païenne fervente, et tandis qu’Athanaric persécutait cruellement les chrétiens au nom du culte national, deux autres princes de race royale, Fridighern et Alavive, s’étaient déclarés leurs protecteurs. Le patronage de ces deux hommes puissans réussit à calmer les rigueurs de la persécution ; mais il en résulta entre eux et Athanaric une inimitié personnelle, ardente, qui se