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réformistes conçues et organisées sur le plan des processions religieuses. À toute occasion, des masses de peuple se précipitaient sur la place du Quirinal, demandant au pape de les bénir. Le pape paraissait et bénissait. C’était, si jamais il en fut, de la politique à spectacle.

Les premières de ces démonstrations populaires avaient été spontanées et naïves. C’était bien l’effusion naturelle de la reconnaissance, par exemple, qui, le jour du décret d’amnistie, avait versé dans toutes les rues et sur toutes les places publiques la population entière de Rome, et l’avait le jour durant fait passer sous le regard attendri et sous la main bénissante de Pie IX ; mais ensuite la multitude avait pris goût à cette cérémonie comme à un jeu ou à une mode. Un paysan de la campagne de Rome, qui avait été tour à tour cocher et batelier, Angelo Brunetti, plus connu sous le nom de Cicervacchio, s’était de son autorité privée nommé entrepreneur et organisateur de ces sortes de fêtes, et le pape ne put bientôt plus ni paraître ni sortir sans trouver ce Cicervacchio et ses processions sous ses pas. Le peuple est comme les enfans : il est admirable pour gouverner ses maîtres par leurs défauts. Le gouvernement pontifical avait eu la faiblesse d’être sensible à la popularité dont il jouissait, et il avait eu l’imprudence de laisser percer cette faiblesse. Plusieurs des anciens condamnés politiques que le décret d’amnistie avait rappelés à Rome, et quelques Italiens exaltés que la nouveauté d’un pape réformateur avait attirés dans la capitale du monde chrétien se donnèrent le mot, et une conspiration s’ourdit pour exploiter l’enthousiasme populaire, et, en le prodiguant ou le refroidissant, gouverner le gouvernement du saint-siège. Quand on avait tiré du saint père l’octroi de quelques réformes populaires, une démonstration bruyante de joie s’organisait ; quand à tort ou à raison on le soupçonnait de vouloir s’arrêter dans la voie réformiste, toutes les figures, comme par enchantement, devenaient froides, tristes, et déjà même çà et là menaçantes. Le cardinal Gizzi eut l’impardonnable faiblesse de céder à ces mouvemens artificiels de l’opinion. Il suivit une politique funeste ; il fit attendre les réformes qu’il avait dessein de décréter jusqu’au point de soulever l’impatience universelle, et il ne sut jamais braver cette impatience. Bientôt il fut notoire dans Rome et dans toute l’Italie que, pour obtenir de lui ce qu’on voulait, il suffisait d’inquiéter sa popularité et de feindre le mécontentement. Personne ne s’en fit faute, et bientôt le gouvernement de Rome ne fut plus au Quirinal, mais dans la rue. Aussi, vers le mois de juin, l’autorité du cardinal était-elle complètement à bout ; car il avait tellement laissé le vase s’emplir, qu’il ne fallait plus qu’une goutte d’eau pour le faire déborder.

Une manifestation nouvelle, la manifestation du 16 juin, jour anniversaire de l’élection du pontife, fit l’office de la goutte d’eau : ce fut