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Depuis la révolution française, la plupart des états catholiques entrés dans l’ordre politique nouveau sont, en matière d’institutions charitables, dans une situation intermédiaire et incertaine qui ne pourra se prolonger long-temps. S’ils n’ont pas éteint la lampe ardente de la charité spontanée, les confiscations révolutionnaires leur ont enlevé l’huile qui seule pouvait suffire à l’alimenter. L’assemblée constituante réunit au domaine de l’état l’immense patrimoine du clergé, sous la condition formellement exprimée de subvenir à l’entretien des pauvres auquel ces biens avaient été affectés par les donateurs. La convention acheva l’œuvre de spoliation en s’emparant de tous les biens des hospices. En même temps qu’elles tarissaient la charité à ses sources, ces deux assemblées politiques proclamaient en matière de secours des maximes dont l’application aurait suffi pour épuiser toute la fortune de la France. Droit à l’assistance pour tous les faibles, droit au travail pour tous les valides, droit à l’enseignement gratuit à tous les degrés, secours obligés à tous les enfans, à tous les vieillards, à tous les malades, à toutes les veuves, femmes ou filles-mères, tel fut l’impossible programme proclamé par la révolution aux prises avec la banqueroute et avec l’Europe. L’état violent créé par les décrets du 19 mars et du 28 juin 1793 fut modifié sans doute par les gouvernemens qui suivirent, et sous le directoire les établissemens charitables recouvrèrent une partie de leurs propriétés. Le nouveau patrimoine des pauvres, grossi depuis cinquante ans par des dons et legs, atteint en ce moment un chiffre assez respectable ; mais que sont ces faibles ressources mises en regard de besoins sans cesse croissans ? Plusieurs des maximes proclamées par nos assemblées révolutionnaires ont été sanctionnées d’ailleurs par des institutions postérieures, et la douceur de nos mœurs a créé, pour adoucir des misères demeurées jusqu’à nous sans soulagemens, des établissemens très utiles, dont ce temps-ci a l’honneur sans doute, mais dont il est incapable de soutenir la charge sans entrer dans un système spécial de voies et moyens. Les exigences et les inventions de la philanthropie administrative ne sont d’une application possible qu’au prix de subventions financières de plus en plus étendues, et la situation budgétaire des départemens et de la plupart des communes est telle qu’ils suffisent à peine aux charges du présent, loin de pouvoir supporter celles qu’on aspire chaque jour à leur imposer. Aussi la France se voit-elle placée, sous le rapport économique, dans cette alternative, d’entrer incessamment dans les voies de la charité légale et des taxes obligatoires, ou de retourner résolûment vers les traditions primitives de la charité religieusement organisée. La question est pendante entre le système protestant dans ses plus rigoureuses applications et un retour au système catholique dans ses institutions les plus oubliées.