Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on prendra son point d’appui sur l’église ou sur l’état, sur la conscience ou sur l’administration, si l’on prendra pour type l’annone païenne ou l’agape chrétienne.

Le moyen-âge vit se développer sur la plus vaste échelle le principe de la charité spontanée s’exerçant sans intervention de l’état et sous l’impulsion du devoir religieux. L’auteur du Problème de la Misère, qui a si heureusement jugé l’antiquité et qui retrouve toute sa netteté de perception lorsqu’il apprécie les faits contemporains, ne paraît pas avoir compris la grande époque durant laquelle le génie catholique s’est épanoui dans toute l’abondance de sa sève. Il passe en courant sur ces longs siècles tout remplis des miracles de la charité chrétienne, et cette lacune, qui ôte toute harmonie à sa composition, est assurément le défaut capital de son livre. Il prétend établir que cette époque fut à la fois un temps de misère sans égale et d’immoralité sans exemple, et il appuie cette thèse sur une multitude de petits faits exceptionnels, à l’origine desquels il ne prend pas soin de remonter. M. Moreau Christophe se complaît à rappeler les famines fréquentes, les maladies contagieuses et la multitude de désordres et de désastres qui affligèrent les peuples du Xe au XVIe siècle ; il établit que l’espèce humaine fut rarement plus malheureuse que durant cette longue et orageuse période, et il en conclut que la charité chrétienne n’a pas eu dans ces temps les développemens féconds et efficaces qu’il est habituel de lui attribuer. C’est trancher une question par une autre, et imputer fort injustement au mode selon lequel s’exerçait le grand devoir de la charité des maux et des privations qu’explique très naturellement l’état toujours troublé de ces sociétés sans industrie, sans commerce, sans communications régulières, et, presque complètement dénuées d’administration et de police dans le sens attache aujourd’hui à ces expressions. Les siècles de foi ont été des siècles de charité, et les prodiges de celle-ci ne sont pas moins attestés que les miracles de celle-là il n’est pas une douleur du corps, pas une souffrance de l’ame, depuis la faim jusqu’à la folie, depuis le crime jusqu’au désespoir, pour lesquelles des ames héroïques n’aient ouvert des asiles et n’aient prodigué leur vie, leur jeunesse, leur fortune ; il n’est pas de maladie si repoussante, de honte si secrète qu’elles soient, qui n’aient été amoureusement soignées par des êtres purs comme des anges. Si ces dévouemens obscurs, que la piété multipliait dans toutes les conditions comme les sables de la mer et les étoiles du ciel, ne dérobaient alors les masses ni à de très fréquentes disettes ni à d’effroyables extrémités, cela prouve contre l’organisation fort imparfaite de ces sociétés et pas du tout contre le vivifiant esprit qui les animait. S’il était possible de combiner jamais le mode d’exercice de la charité tel qu’il se pratiquait au XIIe siècle avec les conditions de l’ordre social