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et qu’elle ne put rien retirer de provinces épuisées et menaçantes, les empereurs antérieurs à Constantin firent, il est vrai, de sérieux efforts pour relever le travail du mépris où l’avait laissé tomber la république, et, en vertu de leur omnipotence, ils s’efforcèrent de le réglementer en l’imposant au même titre que le service militaire. Ils voulurent affranchir et organiser les travailleurs en rendant le travail obligatoire et en s’en faisant les suprêmes dispensateurs ; mais cette tentative d’organisation du travail, première application essayée par quelques Césars d’une doctrine restée fidèle jusqu’à nos jours à cette pensée de despotisme, cette constitution impériale du travail par le système des jurandes demeura à peu près stérile, du moins dans ses résultats pratiques. L’industrie romaine se trouvant restreinte aux besoins usuels de la famille et de la cité, l’absence de toute transaction commerciale avec les autres peuples dut frapper de stérilité ses forces productrices.

La conquête avait donné à Rome tout l’or du monde antique, comme les mines de ses colonies ont donné à l’Espagne tout l’or du Nouveau Monde ; mais la misère, l’impuissance et l’anéantissement politique sortirent pour l’une comme pour l’autre de l’accumulation de richesses improductives. De là ces convulsions qui précédèrent la chute de l’empire et cette complicité des citoyens avec les barbares, desquels ils n’avaient rien à attendre de plus affreux que la famine, et de plus effroyable que la mort ; de là ces projets d’émigration en masse et ces tentatives des empereurs pour transporter le siège de l’empire tantôt dans l’Asie, tantôt en Afrique, tentatives que Constantin parvint enfin à réaliser, non point en sauvant l’empire romain, mais en lui abattant la tête.

Jamais, on le voit, le droit à l’assistance, présenté de nos jours comme une nouveauté, jamais la taxe des pauvres, devenue le régime économique normal de l’Europe non catholique, ne reçurent une plus colossale application que dans cette société, qui ne vivait au pied de la lettre que de la sportule et de l’annone. Ce régime n’était pas particulier à la société romaine : il avait été celui du monde païen tout entier. Dans les républiques helléniques, le travail n’était pas réputé moins flétrissant qu’à Rome, et l’esclavage n’était pas fondé sur une croyance moins ferme et moins universelle. La séparation absolue des hommes à raison de leur origine, leur division par castes se présentaient même en Grèce dans des conditions plus impitoyables encore. En dehors de l’esclavage domestique proprement dit, des races souveraines et des races assujetties habitaient ensemble sans pouvoir jamais s’unir. Aux unes incombait la mission réputée abjecte d’arroser le sol de leurs sueurs ; aux autres, celle de remplir les armées et de siéger dans les magistratures. Le citoyen de Sparte, d’Athènes, de Corinthe, nourri par l’état sur le produit des domaines publics, considérait le trésor de la république comme son bien propre : à part quelques