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Pie IX lui-même, du reste, allait, du premier coup de son autorité, justifier et au-delà tout ce que ses sujets avaient pu attendre de la bonté et de la noblesse de son cœur. À peine était-il sur le trône, qu’un décret d’amnistie (16 juillet 1846), conçu dans des termes d’une beauté morale inconnue jusque-là dans les fastes de la clémence des princes, rendait le ciel de leur pays à tous les proscrits des derniers règnes.

L’Europe entière, dès ce premier acte, sentit qu’un grand pontificat commençait. Tous les gouvernemens et tous les peuples fixèrent leurs yeux sur Rome, et une attente immense emplit les ames. Le réformateur tant attendu paraissait donc enfin ! La hache allait donc être portée dans cette forêt séculaire d’abus si préjudiciables à la gloire du saint-siège et à l’autorité de l’église, si opposés aux maximes de l’Évangile, si indignes des papes et de Rome ! Ainsi parlèrent tous les cœurs dans l’étendue entière de l’univers catholique. Les gouvernemens eux-mêmes entraînés conçurent, tout en envisageant d’un regard plus sévère les immenses difficultés de la tâche de Pie IX, l’espérance et, disons-le à leur honneur, le désir de le voir réussir.

Ce succès était-il possible ? L’entreprise la plus difficile que puisse tenter un homme politique est l’entreprise de réformer un état. Si rares que soient les législateurs, les réformateurs le sont plus encore, et il est moins aisé de corriger les abus d’une administration viciée par le temps que de donner des lois à un peuple neuf. À la prudence qui conçoit et coordonne les améliorations qu’il reconnaît utile d’apporter aux lois qu’il prétend changer, le réformateur doit joindre une fermeté, une précision, et avec cela une promptitude dans l’exécution de son projet, dont on ne se saurait faire une trop haute idée. Quand un réformateur s’annonce dans un état, par cela seul les institutions anciennes cessent d’avoir le respect du peuple, puisqu’elles ont publiquement perdu la foi du gouvernement, et les institutions nouvelles néanmoins ne peuvent avoir encore l’obéissance de personne, puisqu’elles n’existent pas encore. Il en résulte un intervalle et même un temps d’arrêt dans la vie politique de la nation extrêmement redoutable. Le gouvernement est comme suspendu, et la société ne se soutient plus que par l’espérance. Il faut que le réformateur franchisse ce pas avec une résolution et une promptitude extrêmes, autrement tout est perdu. Il faut que l’opération énergique et délicate qu’il a résolu de faire subir au corps politique dure quelques instans à peine, et que les membres qu’il lui enlève soient aussitôt remplacés que retirés ; autrement ce corps bouleversé s’affaisse, et il peut périr. Réformer un état n’est pas une chose normale et ordinaire qu’on puisse faire en prenant son temps et en consultant ses loisirs ; c’est une entreprise extraordinaire et anormale qu’il faut avoir exécutée presque en même temps qu’on l’a annoncée. Il ne faut pas,