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le dernier survivant de ce redoutable comité qui avait organisé la terreur dans l’ouest et fait de Nantes la veine par laquelle on avait saigné la Vendée. Jeté dans le tourbillon révolutionnaire à un âge où la passion enfièvre l’idée et où l’ignorance de la vie précipite toujours vers l’absolu, il s’était montré inflexible dans ce qu’il croyait la vérité, implacable dans les moyens de la faire triompher. Sombre et forte nature qui avait pris l’emportement de sa volonté pour des principes, il s’était d’abord, comme tant d’autres, faussé la conscience dans les exagérations de la parole ; puis, entraîné à les réaliser dans l’action, il était tombé, de violence en violence, au plus profond de l’abîme. Le châtiment avait été terrible : repoussé de la société des hommes, il était condamné, depuis vingt-cinq ans, à rouler son passé, comme Ixion sa roue, dans cette demeure écartée dont l’opinion publique s’était faite la geôlière.

Après quelques instans d’hésitation, maître Jacques tourna autour de l’enclos et alla chercher une petite porte presque cachée, où il frappa : on ne vint pas tout de suite, et il dut frapper de nouveau à deux reprises ; enfin un pas lent fit craquer le sable des allées, une voix faible et cassée demanda ce qu’on voulait.

— Ouvrez, répondit maître Jacques, c’est moi qu’on attend.

Les verrous furent tirés lentement l’un après l’autre, la porte laissa un étroit passage, et le noyeur se trouva en face d’une vieille femme portant le costume de nonne.

— Sœur Claire ! s’écria-t-il en se découvrant.

— Qui m’appelle ? demanda la religieuse.

— Eh quoi ! est-ce que je suis assez changé pour qu’on ne reconnaisse plus mon visage ? reprit le noyeur étonné.

La vieille nonne releva vers lui des yeux semblables à ceux d’une statue.

— Sœur Claire ne voit plus aucun visage, répondit-elle froidement ; mais, à votre voix, il me semble… oui… vous êtes le cousin Jacques ! Venez, venez, il avait hâte de vous voir.

Elle marcha devant lui en s’aidant d’un petit bâton de houx pour tâter sa route. Jacques eut peine à reconnaître le jardin qu’ils traversaient. Ses plates-bandes, autrefois si soigneusement cultivées, disparaissaient sous les herbes parasites ; les arbres, qu’on avait négligé de tailler, éparpillaient leurs branches, et les espaliers, à demi détachés du mur, surplombaient de tous côtés sur les allées.

Ce fut seulement en arrivant au parterre placé devant la maison que cet aspect changea. Là encore une main attentive avait dirigé les arbustes et enveloppé de paille les fleurs pour les défendre contre la gelée. Çà et là, des héliotropes d’hiver dressaient leurs tiges embaumées, sur lesquelles brillaient quelques gouttes de givre fondu par les