Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souleva sur son coude avec un soupir : tous les souvenirs de la nuit venaient de l’assaillir à son réveil, et il retrouvait avec eux sa douloureuse angoisse. Il n’en pouvait plus douter, tout était bien fini pour lui ! car il connaissait assez Méru et Entine pour ne rien attendre de la désobéissance de l’une ni de la justice de l’autre.. La jeune fille devait rester, jusqu’à la mort, soumise par esprit de famille, le patron implacable par esprit de parti. Ainsi ces espérances si long-temps couvées en secret, à si grand’peine écloses, et qu’il avait vues la veille prêtes à prendre leur volée, elles venaient de retomber à terre pour jamais, mortellement frappées !

Il ne voulut point s’arrêter à cette pensée, qui lui eût ôté tout courage, et se hâta de se lever pour faire les préparatifs de départ.

Le bateau de Méru les avait déjà achevés, et il l’aperçut qui glissait le long de la charreyonne, la voile hissée. Méru était à la barre ; François, assis à l’avant, tenait sa musette, comme s’il se fût rendu à quelque aire neuve ou à quelque fête de paroisse. Il jeta en passant au jeune patron un regard en dessous où brillait l’insolence du triomphe. André n’y répondit pas. Son œil cherchait la jeune fille, qu’il ne put rencontrer. Sans doute, elle se tenait renfermée dans la cabane du futreau, afin d’éviter le déchirement de cette dernière entrevue. Le jeune patron sentit son cœur se serrer ; mais il surmonta son émotion, et, ne voyant près de lui aucun des hommes de la charreyonne, il se rendit à l’auberge pour les avertir.

Au moment où il entra, tous les mariniers alors à la Meilleraie étaient réunis autour du père Soriel et parlaient vivement ; à sa vue, la conversation s’arrêta ; les yeux, qui s’étaient fixés sur lui, se détournèrent, et il se fit un vide dans le groupe, comme si l’on eût voulu lui laisser la place libre. André eut vaguement conscience que quelque résolution venait d’être prise à son égard, et le sang lui monta au visage ; mais il ne se laissa point intimider. Cherchant ses matelots du regard, il les avertit que la charreyonne allait mettre à la voile. Les matelots détournèrent la tête sans répondre et demeurèrent à la même place ; le jeune homme, étonné, répéta son avertissement, en leur ordonnant de le suivre ; les mariniers, visiblement embarrassés, regardèrent le père Soriel. Celui-ci fit alors un pas vers le patron de l’Espérance, et, prenant la parole :

— Nous nous occupions de vous, André, dit-il sérieusement, et vous arrivez à propos.

Le jeune homme fut frappé de cette disparition du tutoiement, qui, parmi les mariniers de la Loire, est non-seulement une habitude, mais un symbole obligatoire de confraternité.

— Vous savez ce que la marine de Loire a décidé contre les noyeurs ?