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— Non, dit le marinier, qui s’avança vers elle et la força à reculer vers l’extrémité du futreau ; non, Entine, vous ne partirez pas ainsi sans m’avoir écouté. Tout à l’heure encore je me demandais comment je pourrais trouver une occasion : puisque mon saint patron me l’a donnée, je ne vous laisserai point aller sans vous avoir dit ce qui me point le cœur.

— C’est inutile ! interrompit la jeune fille malicieusement ; je ne connais de recette que pour les engelures, maître André. Allez voir plutôt la Mérode de Chalonnes ; elle sait des paroles qui guérissent comme baume.

— Vous seule pouvez prononcer celles qui me soulageront, dit le jeune homme avec une tristesse tendre ; ne faites pas semblant de mal comprendre, Entine ; ne jouez pas avec ma peine comme le chat avec l’oiseau qu’il tient sous ses griffes. J’ai tant peur de vous déplaire, que devant vous je suis toujours interdit. Aussi vous pouvez vous amuser de moi sans que je trouve à vous répondre ; mais ce n’est pas d’un brave courage, et vous ne voudriez pas abuser de votre esprit contre un garçon qui trouverait plus facile de vous donner son sang goutte à goutte que de vous demander si vous voulez de son amitié.

L’accent était si ému et si loyal, que la jeune fille en parut attendrie. Par un mouvement tellement prompt qu’il paraissait involontaire, elle saisit le bras du jeune marinier et prononça son nom presque en pleurant. André l’attira vers lui avec une exclamation de joie et allait renouveler sa question. Elle tressaillit tout à coup, lui imposa silence de la main, et se retourna vers la charreyonne.

— Qu’y a-t-il ? demanda le jeune homme.

— J’ai cru… qu’on nous écoutait ! murmura Entine.

— Où donc ?

— Là, dans votre bateau,… j’ai entendu marcher,… et il m’a semblé qu’une ombre passait !…

André monta sur le bordage pour mieux voir. La charreyonne était silencieuse, la rive déserte et les fenêtres de l’auberge éclairées. Il s’efforça de rassurer la jeune fille en lui rappelant que tous ses gens dormaient, que ceux du futreau étaient toujours attablés avec son oncle et le père Soriel, et qu’ils n’avaient par conséquent rien à craindre. Puis, enhardi par le silence d’Entine, il lui parla plus librement de son amour, lui fit connaître ses projets et ses espérances. La jeune fille, qui luttait évidemment entre l’inquiétude et l’attendrissement, s’était assise sur le dernier banc, la tête baissée, tandis qu’André, penché vers elle, la pressait de répondre.

— Au nom des saints ! Entine, dit-il après avoir épuisé tous les témoignages d’amour, dites un mot, un seul mot qui m’ôte de souci. Je