Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

carrées et des habitations assez bien conservées ayant l’aspect bizarre de pigeonniers, grace aux trous réguliers dont leurs parois sont percées, nous achevâmes tant bien que mal le tour de la place. Certes, ce n’eût pas été trop de deux journées employées sans perte de temps pour recueillir des notes et des croquis dignes de Masada. Nous y étions restés plus de deux heures ; mais nos Arabes nous pressaient de redescendre au camp : ils faisaient sonner bien haut la nécessité d’aller coucher le même soir à un endroit où gens et bêtes trouveraient de l’eau à boire, et cet argument, vu la chaleur affreuse dont nous souffrions, l’emporta sur notre amour des ruines.

Nous nous mîmes en devoir de redescendre : monter était un jeu, et nous ne pûmes nous rendre compte du danger qu’il y a à grimper à Masada que lorsqu’il nous fallut reprendre en sens inverse le chemin qui, la première fois, nous avait paru si difficile. En passant devant le ravin étroit qui débouche sur Leukè, le plus jeune de nos Djahalin eut l’heureuse idée d’y entrer pour voir s’il n’y trouverait pas un peu d’eau dans quelque creux de rocher. Tout à coup il poussa le cri d’allégresse fi-maïeh (il y a de l’eau), et chacun de courir. Il faut avoir ressenti la soif dans un pays pareil pour se faire une idée du bonheur avec lequel nous plongeâmes pour ainsi dire la tête dans cette eau malpropre, afin d’en boire autant que nous pourrions. Français et Bédouins, couchés à plat ventre autour de la flaque d’eau croupie, s’en abreuvèrent à satiété, s’y trempant la tête et les bras sans s’inquiéter le moins du monde du dégoût qu’ils pouvaient causer au voisin. Parlez-moi de la vie du désert pour mettre à néant les scrupules et les répugnances du petit-maître le plus musqué. Ragaillardis par cette bonne fortune inespérée, nous nous remîmes en marche, et à dix heures et demie nous rentrions au camp, c’est-à-dire à la place où avait été notre camp, car les tentes avaient été repliées, et tous nos bagages avaient pris les devins pour gagner au plus vite, dans l’intérêt de nos bêtes de charge, la source vive qu’on nous promettait pour le campement du soir.

Notre drogman Matteo avait eu tout le temps de préparer le déjeuner auquel on peut croire que nous fîmes honneur. Tous nos fantassins étaient partis avec nos bagages, et nos scheikhs, avec leurs cavaliers, causaient tranquillement assis en cercle sous un soleil de feu, avec leurs chevaux attachés près d’eux à la hampe de leurs lances. Pendant notre absence, Hamdan était rentré de la course qu’il avait faite dans la montagne afin de se procurer les deux moutons sur lesquels nous comptions pour la veille au soir. On lui avait demandé 100 piastres par tête de mouton, et en homme qui ne cède pas facilement à des exigences trop fortes, il avait mieux aimé revenir les mains vides que de nous induire en une dépense qui lui semblait exorbitante. Cela était fort raisonnable sans