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pas tout d’abord à sa proposition. Quelques-uns cependant se préparaient à lui obéir et montraient presque de l’allégresse en pensant qu’une pareille mort était belle. Ceux qui hésitaient avaient pitié de leurs femmes et de leurs enfans, et, voyant leur fin si prochaine, ils s’entre-regardaient avec des yeux pleins de larmes et témoignaient ainsi qu’ils repoussaient le conseil d’Éléazar. Celui-ci, les voyant trembler et reculer devant cet héroïque dessein, commença à craindre que ceux mêmes qui avaient applaudi à son discours ne se laissassent amollir par les supplications et les larmes des plus timides ; il reprit donc la parole et se remit à les exhorter. S’animant de plus en plus, il leur parla de l’immortalité de l’ame avec une énergie toujours croissante et en poursuivant de regards obstinés ceux qui ne pouvaient cacher leurs larmes. Il parvint, par ce nouveau discours, à les enflammer de telle façon que, s’il faut en croire Josèphe, tous les assistans, sans en excepter un seul, arrêtèrent Éléazar lorsqu’il voulait continuer de parler. Pleins d’une ardeur frénétique et poussés par le démon, ils se précipitèrent à l’œuvre et commencèrent la perpétration d’un crime sublime avec la rage de gens dont aucun ne voulait être le second à agir. On les vit embrasser leurs femmes et leurs enfans avec une tendresse convulsive et les poignarder ensuite d’une main ferme. Il n’y en eut pas un seul qui hésitât à verser le sang des êtres qui lui étaient chers malheureux auxquels cette effroyable extrémité était devenue nécessaire, et pour qui le plus léger des maux était d’égorger de leurs propres mains leurs enfans et leurs femmes ! Après cette scène de carnage, les survivans, écrasés par l’horreur de ce qu’ils venaient de faire et pressés de rejoindre dans la mort ceux qu’ils avaient frappés, entassèrent toutes leurs richesses, qu’ils livrèrent aux flammes. Le sort ayant aussitôt désigné dix d’entre eux auxquels fut dévolu l’horrible soin de tuer tous les autres, ceux-ci se couchèrent auprès des cadavres chauds encore de ceux qu’ils avaient aimés, et, les tenant embrassés, présentèrent tour à tour la gorge à leurs héroïques bourreaux. Les dix élus accomplirent intrépidement leur tâche jusqu’au bout, et, lorsqu’ils eurent fini, ils désignèrent au sort, à leur tour, celui qui donnerait la mort aux neuf autres et se tuerait ensuite de sa propre main. Ainsi ces hommes avaient assez de confiance en eux-mêmes pour être assurés qu’il n’y avait pas à choisir entre eux, et que l’un ne valait pas mieux que l’autre pour achever cette horrible tragédie. Le dernier vivant visita tous les cadavres étendus autour de lui, et, après s’être assuré qu’il n’en restait pas un seul qui eût encore besoin de son ministère, il mit le feu au palais et se passa enfin son épée au travers du corps. Tous périrent convaincus qu’il ne restait pas après eux un seul être animé que les Romains pussent prendre vivant. Ils s’étaient trompés pourtant, car une vieille femme, avec une parente d’Éléazar,