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près de quitter le pouvoir. La plus sûre garantie pour lui, nous le disions l’autre jour, c’est la confiance de la reine. Le seul changement qui ait eu lieu récemment dans les hautes fonctions exécutives, c’est celui du capitaine-général de Madrid. Le général Pezuela a été remplacé par le général Cañedo à la suite de quelques difficultés d’attributions.

Une chose à remarquer d’ailleurs, c’est le calme profond de l’Espagne, et nous pourrions dire l’absence de préoccupations politiques. C’est à peine si un de ces derniers jours, à Madrid, on a su qu’un certain mouvement s’était manifesté dans un bataillon de la garnison. La cause de cette émotion était assez futile. C’était la déception de quelques soldats qui avaient espéré qu’à l’occasion de la naissance de la princesse des Asturies il leur serait fait remise d’une partie de leur temps de service. Il a suffi de la présence du ministre de la guerre pour rétablir l’empire d’une exacte et sévère discipline.

Tandis que l’Europe se débat au milieu des difficultés de sa situation politique, au-delà de l’Océan, dans des conditions bien différentes, il est vrai, l’Amérique, elle aussi, suit le cours de ses étranges destinées. L’empressement des Américains à l’endroit de Kossuth n’a guère diminué, et chaque steamer nous apporte de curieux échantillons des mœurs publiques des citoyens de l’Union. Les discours de Kossuth ne se comptent plus ; les banquets qu’on lui offre ne se compteront bientôt pas davantage. Nous en avons deux à enregistrer pour cette fois : le second banquet offert par la presse de New-York et le banquet offert par le barreau et la magistrature de la même ville. Si les Américains ne se sont pas jusqu’à présent montrés bien ardens à souscrire l’emprunt hongrois, en revanche ils ne ménagent pas les ovations. Dix-sept jours durant, New-York a abandonné ses affaires pour visiter l’ex-dictateur. Lorsque les Américains ne peuvent parvenir jusqu’à lui, ou lorsqu’il est trop fatigué pour leur répondre, ils s’adressent à sa suite ; au besoin, M. Pulsky s’essaie à suppléer le célèbre orateur. M. Kossuth a sa part de ces hommages, et les galans gentlemen ne lui ménagent pas les bouquets. Malgré les paroles d’un membre du banquet de la presse qui suppliait Kossuth de prendre soin de sa santé, les citoyens de l’Union, il faut en convenir, s’y prennent mal pour la lui conserver en bon état. Le proscrit magyar a à répondre dans tous les idiomes connus aux discours de tous les métiers, de toutes les associations, de tous les cultes possibles, et Dieu sait si le nombre en est grand. Bien lui prend d’avoir le don des langues ; il lui faut passer d’un discours anglais à un discours allemand, après avoir subi comme intermède un discours en espagnol de quelque général du Chili ou de quelque patriote de la Bolivie ou du Vénézuela. Le clergé protestant raffole de lui. Un clergyman, le révérend M. Corey, prouve par des textes de l’Écriture que M. Kossuth est un second Messie, et qu’il « a été envoyé sur la terre pour frapper à mort la papauté. » M. Kossuth disait dernièrement aux réfugiés politiques autrichiens : « Ne parle jamais plus qu’il n’est nécessaire ; telle a toujours été ma devise. » Si telle est sa devise, il faut en conclure alors que les Américains ont réussi à la lui faire oublier.

Cependant tous les Américains ne sont pas aussi naïfs que les membres de la députation de Cincinnati, qui, s’étant avisés, avec cette audace vantarde qui est dans le caractère des Américains, d’appeler leur ville la reine de l’ouest, ont applaudi Kossuth à outrance lorsque ce dernier leur a fait observer que le mot