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à peine goûté. Les Allemands seront peut-être dans l’empire les seuls qui les regretteront vivement. Il est certain, en effet, qu’il y a bien plus de sentimens monarchiques, de soumission volontaire au pouvoir royal dans ces vingt-quatre millions de Slaves et de Magyars, contre lesquels l’Autriche cherchait naguère un appui en Allemagne, que dans ces sept ou huit millions de sujets allemands dont le cabinet de Vienne désirait pourtant faire la base de l’empire.

Le parlement piémontais poursuivait, il y a quelques jours encore, la discussion du budget des dépenses publiques de l’état, et cette discussion ne suivait point son cours sans s’embarrasser à chaque pas de mille digressions, hors-d’œuvre, incidens inattendus. Les chambres piémontaises, pour perdre le moins de temps possible, ont sagement supprimé ces débats sans limites et sans terme qu’on nommait autrefois chez nous les débats de l’adresse ; mais elles n’ont pu supprimer les interpellations, les divagations de toute sorte qui viennent se rattacher incidemment à toute question, fût-ce une question de chiffres et de budget. En fin de compte, sur un dernier amendement, le ministre de la guerre, le général de la Marmora, est venu prier la chambre des députés de passer simplement à l’ordre du jour, ce qui a été fait. En ce moment, le parlement de Turin discute le traité de commerce récemment signé avec l’Autriche, et qui sera très probablement adopté. Le régime constitutionnel, on le voit, suit son cours régulier dans ce jeune et intéressant pays. Nul symptôme sérieux n’apparaît à la surface de la vie politique. On ne saurait se dissimuler cependant que là n’est point la mesure la plus exacte de la situation du Piémont et des difficultés au milieu desquelles le gouvernement du royaume italien doit vivre. Intérieurement, le gouvernement piémontais est placé entre les conséquences du régime constitutionnel inauguré il y a près de quatre années, et les résistances visibles à l’ensemble de ces conséquences, surtout à tout ce qui pourrait en paraître l’exagération. Or, on ne se hasarderait pas beaucoup, nous le pensons, en constatant que le vent n’est point actuellement en Europe aux idées constitutionnelles et aux choses nées sous l’influence des événemens de 1848. Nous ne voulons point dire qu’il en résulte un péril immédiat et direct pour le Piémont ; mais, à coup sûr, il en résulte pour son gouvernement l’obligation d’un redoublement de sagesse, de prudence et de tact dans sa conduite et dans ses actes. Le cabinet de Turin n’est point lui-même sans sentir les devoirs que lui impose la situation nouvelle de l’Europe ; aussi vient-il de proposer aux chambres un projet de loi qui défère à un tribunal spécial les injures proférées par la presse contre les chefs des gouvernemens étrangers. Le parti révolutionnaire s’élève naturellement contre une telle mesure. S’il n’est point dans l’intention d’user de ce singulier droit d’injure, pourquoi se plaindrait-il ? S’il veut en user, comment prétendrait-il légitimement, au nom de ses passions, imposer à tout un pays la solidarité de ses actes et de ses paroles ? De tous les dangers que pourrait courir le Piémont, le plus grand, ce serait évidemment de devenir un refuge de prédications, de déclamations et d’injures contre lesquelles son gouvernement resterait désarmé, parce qu’alors les difficultés extérieures ne tarderaient pas à naître pour lui. Ce sont là des considérations auxquelles les partis révolutionnaires ne sont pas fort sensibles, nous le savons, mais auxquelles les gouvernemens sages s’arrêtent en temps opportun,