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avec ses ministres entre ses maîtresses et les poètes de sa cour ; puisqu’il est avéré qu’il menait de front les affaires et les plaisirs, le peintre pouvait et devait réunir dans le même cadre les secrétaires d’état, les maîtresses et les poètes. Tel qu’il est, ce tableau ne peut manquer d’attirer l’attention et d’enchanter le regard, car il offre une combinaison ingénieuse de personnages très divers et très fidèlement rendus, groupés habilement et servant à l’expression d’une idée unique. Le siècle de Louis XIV revit là tout entier : politique, poésie, volupté, M. Chenavard n’a rien oublié. Il a compris et traité toutes les parties de son sujet. Les jardins dessinés par Lenôtre, le palais construit par Mansard, encadrent heureusement les personnages, et le spectateur devine, au premier aspect, le nom des acteurs placés devant lui. C’est un éloge qui semble banal et qui pourtant, n’est mérité que par un petit nombre de tableaux ; chaque jour, nous le voyons prodigué, mais il est bien rare qu’il soit légitime.

J’ai omis, dans cette rapide nomenclature, plus d’une composition qui mériterait une analyse spéciale, et entre autres le Passage du Rubicon. J’en ai dit assez pour montrer toute l’importance du travail entrepris par M. Chenavard. Bien que toutes ces compositions soient tracées au fusin et privées du prestige de la couleur, elles n’offrent pourtant pas un intérêt moins puissant que des tableaux achevés. Il y a dans cette galerie tant de clarté, tant d’harmonie, tous les épisodes de l’histoire humaine sont si nettement retracés et s’enchaînent si naturellement, l’esprit éprouve tant de plaisir à suivre le développement de la civilisation, qu’il ne songe pas à regretter l’absence de la couleur. Sans doute le pinceau prêterait à l’œuvre de M. Chenavard un charme nouveau, sans doute la couleur parlerait aux yeux plus vivement que le fusin : cependant je crois que ces cartons, sans subir aucune métamorphose, seraient un digne sujet d’étude. Il serait facile de les séparer par des bandes colorées, de telle sorte que le regard embrassât sans effort le champ de chaque composition, et l’on obtiendrait ainsi quelque chose d’analogue aux peintures monochromes d’André del Sarto. Je n’ai pas à m’occuper de la destination qui sera donnée à ce travail ; il me suffit d’en avoir signalé toute la grandeur. Quatre années de méditation et de persévérance ne seront pas perdues. Que M. Chenavard expose ses cartons dans une salle convenablement disposée, l’avis des hommes studieux sera certainement ratifié par la foule. Chacun reconnaîtra les qualités éminentes qui les recommandent, et l’auteur prendra rang parmi les esprits les plus sérieux de notre temps. Les entreprises d’une telle valeur sont trop rares pour que la critique ne s’empresse pas de les signaler à l’attention publique.

Sans doute il serait facile de relever dans cette vaste série quelques négligences d’exécution, préoccupé de l’expression de sa pensée, l’auteur