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échapper à la malédiction dont furent frappés leurs pères, leurs maris et leurs frères. Elles n’insultèrent j’aurais celui que M. Kompert appelle le blond rabbin de Nazareth ; elles l’aimèrent, elles furent empressées à le suivre, à l’assister, à lui prodiguer maints soulagemens. Le Christ, à son tour, était pour elles une source de miséricorde et de graces. « Le reflet de quelque beau rayon, ajoute le poète, sera resté sur le front des Juives. » Ce que Chateaubriand dit simplement de la beauté du visage, M. Léopold Kompert semble l’appliquer au caractère même de ses héroïnes. Oui, un beau reflet, un rayon d’une grace particulière est visible chez les simples femmes dont il nous raconte les épreuves ; elles sont plus près de nous, elles sont comme préparées d’avance aux transformations futures, et, sans le savoir, elles y aideront elles-mêmes. Ce trait, qui fait honneur à la sagacité de l’observateur, a heureusement inspiré l’artiste. Ses plus originales créations sont des portraits de femmes : c’est la femme du randar, c’est Resèle, c’est Madeleine, douce et grave assemblée, groupe charmant qui accompagne et console les rustiques tribus d’Israël opprimé, comme les filles de Jérusalem assistaient, il y a dix-huit siècles, le condamné de Pilate.

Que M. Léopold Kompert poursuive ses travaux sans se hâter. L’intérêt de ses tableaux n’est pas purement littéraire ; des considérations plus hautes s’y rattachent. S’il ne veut pas déchoir, il faut qu’il continue d’observer avec un soin religieux, avec une sympathique philosophie, ces naïves peuplades qui lui ont révélé tant de choses, et dont il peut, à son tour, préparer l’émancipation et aplanir les voies. Qu’il ne se fie pas à l’habileté de son art, qu’il ne s’empresse pas de produire ; l’artiste ne serait rien dans une telle matière, si le penseur attentif et compatissant ne faisait la moitié de sa tâche. L’auteur des Scènes du Ghetto et des Juifs de la Bohême est engagé dans une œuvre sérieuse, et il ne s’en détournera pas. Il étudiera la réalité comme un peintre amoureux de la nature, mais toujours une intention généreuse et profonde le guidera. Sans dogmatiser jamais, sans méconnaître les lois de l’art, il sera pathétique et instructif à la fois ; et, quelle que soit l’issue des luttes intérieures qu’il raconte, quelque parti qu’il prenne lui-même dans ces révolutions de la conscience, il aura du moins attaché son nom à la peinture d’une crise intéressante, il aura écrit avec émotion une page de l’histoire religieuse et morale du XIXe siècle.


SAINT-RENE TAILLANDIER.