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La toile, divisée en deux parties à peu près égales, laisse voir dans la moitié supérieure les païens persécuteurs de la foi chrétienne, et dans la moitié inférieure les chrétiens persécutés, qui, au milieu des agapes, se préparent au martyre. Il est impossible de ne pas admirer la grandeur de ce double poème. Le triomphe et l’orgueil des païens, dont les doctrines seront bientôt effacées de la mémoire des hommes, contrastent d’une manière frappante avec la ferveur des néophytes qui se cachent dans les entrailles de la terre pour célébrer les mystères de la religion nouvelle. M. Chenavard a très bien saisi et très bien rendu le double caractère qui convient à ces deux ordres de personnages, et je ne doute pas que son tableau des Catacombes n’obtienne de nombreux applaudissemens. Il n’a pas traité avec moins de hardiesse un sujet qui eût sans doute découragé plus d’un peintre habile : la Rencontre d’Attila et de saint Léon. Sans se préoccuper de la fresque du Vatican, il a interrogé l’histoire, et l’histoire lui a fourni les élémens d’une composition qui ne rappelle en rien l’Attila de Raphaël. C’était la seule manière d’aborder un tel sujet. La fresque du Vatican, élégante, animée, réveille dans tous les esprits qui connaissent l’antiquité le souvenir des cavaliers de Phidias,- le souvenir des Panathénées. M. Chenavard, pour éviter le danger d’une telle comparaison, a pris le récit des historiens, et s’est efforcé de le reproduire fidèlement. Je dois dire que sa hardiesse lui a porté bonheur, car il y a dans son Attila quelque chose de barbare et de sauvage qui frappe le spectateur d’étonnement, et puis la toile est remplie d’une multitude qui se presse derrière le conquérant, et qui exprime bien le caractère de cette invasion prodigieuse. Quant au pape qui s’avance au-devant d’Attila, il porte sur son visage la ferveur de sa croyance. Il n’essaie pas de lutter par la force avec le fléau de Dieu. C’est à la prière seule, à la prière ardente et sincère qu’il demande le salut de Rome. Aussi je n’hésite pas à recommander l’Attila de M. Chenavard comme un modèle d’énergie et de sagesse. La foi aux prises avec la force est dignement représentée dans ce tableau.

La poésie du moyen-âge lui a suggéré l’idée d’un séjour enchanté, où se trouvent réunies les ombres d’Alighieri, de Pétrarque et de Boccace. Dante et Béatrice, Pétrarque et Laure, occupent le premier plan, et chacun de ces deux grands poètes est rendu avec une fidélité qui révèle chez l’auteur la connaissance complète des idées et des sentimens qu’ils ont revêtus d’une forme immortelle. Quant à Boccace, il occupe, à la droite du spectateur, le fond du tableau. Placé au milieu des personnages du Décaméron, il représente d’une manière ingénieuse l’amour voluptueux à côté de l’amour sincère et profond. En agissant ainsi, M. Chenavard s’est soumis à la tradition, car personne assurément ne voudra mettre Fiammetta sur la même ligne que Laure de