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jugés après leur mort, il use de son érudition avec sobriété, avec modestie, et les chapiteaux, bien que rendus avec fidélité, ne détournent pas l’attention des personnages. C’est un mérite sur lequel j’insiste volontiers, car il ne se rencontre pas souvent. Peintres et poètes s’empressent à l’envi d’étaler aux yeux de la foule tous les souvenirs entassés à la hâte dans leur mémoire. Qu’arrive-t-il ? C’est que le poème et le tableau disparaissent sous le placage archéologique ; les meubles et les costumes prennent tant d’importance, que les personnages occupent à peine l’attention. Nous voyons au théâtre des consuls, des sénateurs, des tribuns, s’amuser à nommer toutes les parties de leur chaussure, toutes les agrafes de leur toge, comme s’ils craignaient de les oublier. Dans nos galeries, nous voyons des monumens et des meubles transcrits avec une littéralité puérile servir de base à des tableaux inanimés. M. Chenavard, témoin de ces nombreuses bévues, n’a pas eu besoin d’une grande prudence pour éviter l’écueil que je signale. Il s’occupe d’abord des personnages, et, sûr que sa mémoire le servira fidèlement dès qu’il l’interrogera, il concentre toute l’énergie de sa pensée sur le mouvement des figures, sur l’expression des physionomies. La partie humaine de son œuvre une fois achevée, il donne son attention au costume, à l’architecture, et jamais dans ses compositions les choses ne présentent la même importance que les personnes. Les deux tableaux dont je viens de parler démontrent surabondamment que son érudition n’est pas de fraîche date. Ses souvenirs nombreux et variés, empruntés aux livres, aux gravures, aux galeries, sont entrés profondément dans la substance même de sa pensée. Aussi, quand il les appelle à son secours, il les trouve empressés, obéissans, et n’a que l’embarras du choix. C’est, à mon avis, la seule manière d’employer l’érudition, dans la peinture comme dans la poésie. Rien n’est plus dangereux qu’un souvenir trop récent, lorsqu’il s’agit d’inventer. L’esprit exagère trop facilement l’importance des notions acquises la veille. Pour que les idées prennent en nous la place et le rang qui leur appartiennent, il faut qu’elles aient été élaborées par la réflexion. C’est à ce prix seulement que nous pouvons les mettre en œuvre. M. Chenavard n’ignore pas cette condition impérieuse, et tous les cartons sortis de ses mains sont là pour attester qu’il ne l’a pas perdue de vue un seul instant. Il dispose librement et sagement de son érudition, parce qu’il possède depuis long-temps l’instrument qu’il manie ; il use modestement de son savoir archéologique, parce que le passé est toujours présent à sa mémoire ; et comme, par un heureux privilège, il unit à une mémoire excellente et soigneusement enrichie la faculté d’ordonner ses pensées et de les présenter sous une forme vivante, il trouve moyen de contenter à la fois les connaisseurs et la foule.

L’antiquité grecque et romaine n’a pas été pour M. Chenavard un