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peuple de Dieu ! Voilà ce que paraît annoncer saint Paul avec cette hauteur de vues qui n’appartient qu’à lui. Ces étranges et éblouissantes promesses ont fait naître bien des conjectures ; des ames préoccupées de l’affaiblissement des croyances chrétiennes dans l’univers ont entrevu, ont appelé ardemment cette dernière phase du développement religieux de l’humanité. — Il faut un nouveau peuple ! s’écriaient souvent les jansénistes, et le passage de saint Paul était commenté à Port-Royal par d’austères illuminés. Il était impossible que le judaïsme ne s’empressât pas d’accueillir des prophéties de cette nature ; il y a en Allemagne et en France même des penseurs distingués qui se sont emparés des versets de saint Paul pour les interpréter à leur manière et en faire un aliment aux espérances obstinées des synagogues. Ce n’étaient là pourtant que des fantaisies de rêveurs, des spéculations de philosophes et de lettrés ; allez interroger les vrais croyans, les ames simples, les Juifs ignorans et candides des provinces autrichiennes ; suivez dans les rapports que nous donne l’historien du Ghetto la marche des sentimens et des idées : vous verrez bien que ces subtiles conceptions n’ont rien de commun avec les choses possibles. Ces interprétations d’un passage obscur de saint Paul ne sont que chimères de beaux esprits ou rêves d’imaginations mystiquement exaltées ; le judaïsme, répétons-le, est condamné à périr, s’il ne se renouvelle pas, et il n’y a pour lui qu’une manière de se renouveler : c’est de renoncer à son esprit de caste, c’est de s’élever aux vastes pensées, d’entrer dans la société humaine, de prendre une part directe à tous les intérêts de la civilisation spirituelle et morale, c’est-à-dire de devenir chrétien. L’instinct naïf des gens du Ghetto ne s’y trompe pas : ou bien ils désespèrent et meurent, ou bien ils ouvrent les yeux et s’acheminent vers le christianisme. C’est là ce qui donne un intérêt si vif aux récits de M. Kompert ; le cœur est ému de ses touchantes peintures, la pensée y découvre tout un trésor d’observations sans prix.

Une chose encore doit être signalée dans les scènes juives de M. Kompert, une chose qui honore hautement en lui et l’observateur et le peintre. Les personnages, je ne dis pas seulement les plus doux, mais les plus intelligens de ses tableaux, ce sont les femmes. C’est chez elles, excepté peut-être l’étrange figure de la seconde Judith, que brillent le mieux l’esprit de tolérance et la sympathique ouverture de l’ame. Si l’auteur veut représenter l’obstination étroite, la foi de caste et de race inflexiblement fermée à toute clarté nouvelle, c’est toujours un homme qu’il mettra en scène. La femme au contraire, lors même qu’elle n’est pas convertie, semble déjà comme à moitié chemin entre le judaïsme et la religion du Christ. Il y a une gracieuse et poétique page de Chateaubriand sur les Juives : il se demande pourquoi elles sont plus belles que les hommes de leur nation, et il pense qu’elles ont dû