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solennité sauvage d’un orage qui s’est abattu sur une ame pour briser tout son monde intérieur : on ne voit que des tourbillons où tourbillonnent les fragmens d’un univers en morceaux.

En somme, cela est magnifique. Et pourtant le livre laisse une impression pénible, souvent même une sorte d’irritation : la raison proteste, elle n’est pas contente surtout du sujet que le poète a choisi pour déployer cette espèce de puissance.

Ce qu’est le sujet, les premiers vers du poème nous l’apprennent suffisamment. Établie à Florence, dans la maison Guidi, Mme Browning a entendu la voix d’un enfant qui chantait dans la rue O bella Libertà, et la voix du jeune chanteur s’enflait tellement pour jeter au ciel son refrain, elle avait tant d’ame pour le lancer jusqu’au zénith musical, que le poète s’est pris de confiance dans l’avenir d’un peuple où les enfans savaient ainsi chanter la liberté. — Les espérances forment la première partie de l’œuvre, la seconde est consacrée à des regrets et à l’aveu des illusions déçues.

Est-ce de ma part un sentiment maladif ? Je ne sais ; mais tout d’abord il me semble que la poésie politique ou la politique de sentiment est une sorte d’anomalie. Les intérêts en jeu dans nos sociétés, et surtout les terribles dilemmes qu’ils posent à la raison humaine, ont trop de gravité pour fournir matière à des enthousiasmes ou à des caricatures. C’est s’égarer que de descendre sur ce terrain avec sa sensibilité. On souffre à voir un homme qui ne peut pas s’oublier en face de ces rudes nécessités, qui ne veut pas de la peine de mort, par exemple, parce que l’idée seule d’un supplice lui est désagréable, ou qui veut que telle nation ait tel genre de gouvernement, parce que c’est là ce qui lui plaît le plus. Certes ces prédilections et ces principes sont fort légitimes à leur place. Au fond de son ame, il est bon que chaque homme ait à poste fixe de pareils mobiles ; bien plus, il est bon que ses mobiles, au fond de son ame, sachent nettement ce qu’ils préfèrent ; mais il y a loin de là à les faire intervenir au milieu des faits avec leur idéal, et, quand ils y descendent, il n’est pas bon, j’imagine, qu’ils songent uniquement, comme des égoïstes, à réclamer ce qui les séduit et à attaquer tout le reste. Les intentions et les principes, les convictions et les enthousiasmes, ont les mêmes devoirs dans ce monde que les êtres de chair et d’os. Ce n’est pas assez qu’ils aient reçu du ciel une bonne nature, qu’ils soient bien nés ; ils sont encore tenus de savoir s’abstenir, regarder devant eux, rendre justice à tous et se résigner souvent.

Cette distinction que je tâche d’établir entre les mobiles eux-mêmes et leur idéal ou ultimatum me permettra peut-être de rendre compte du sentiment fort mêlé que j’éprouve à la lecture du poème de Mme Browning. Toutes les bonnes choses y sont, les idées sages et la