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suivante qu’elle put être ramenée à Londres à petites journées. De retour dans sa famille, Elizabeth Barrett n’abandonna pas pourtant la littérature et le grec : probablement elle n’eût pu résister sans la diversion salutaire que ces études faisaient à ses pensées… Plusieurs années n’apportèrent aucun changement à son existence elle vécut enfermée dans une chambre vaste et commode, mais à demi fermée à la lumière, sans recevoir personne, sauf sa famille et quelques amis dévoués. Moi-même, j’ai souvent fait avec plaisir cinquante-cinq milles rien que pour la voir et repartir le même soir. Son temps se passait à lire dans presque toutes les langues les livres qui en valaient la peine et à donner son cœur et son ame à cette poésie dont elle semblait destinée à être la prêtresse. Peu à peu sa santé s’améliora. Il y a environ quatre ans, elle épousa M. Robert Browning, et presque aussitôt elle partit avec lui pour Florence. Cet été, j’ai eu le bonheur de la revoir de nouveau à Londres avec un bel enfant sur ses genoux. Puisse le ciel lui conserver long-temps la santé et le bonheur ! »


Après avoir lu les poésies de Mme Browning, on fait de tout cœur écho à ces dernières paroles, car ses vers sont comme les lettres dont parle miss Mitford. On l’y retrouve avec tous les instincts affectueux et toute la chaleur enthousiaste de la femme. Sa prosodie même est féminine : elle a des rimes qui reviennent, comme certains sentimens, j’imagine, doivent revenir obstinément à travers les pensées de son sexe. Son merveilleux poétique aussi est, en plus d’un passage, un heureux emblème des influences qui peuvent se disputer le cœur d’une femme. Dans une de ses ballades, par exemple, Onora, qui ne veut pas mourir parce qu’elle aime, rencontre un fantôme, celui de la nonne au rosaire, qui personnifie bien sa propre faiblesse d’amante. Pour ne pas mourir, elle fait serment de « ne pas remercier Dieu dans ses joies et de ne pas recourir à lui dans ses peines, » et la nuit le fantôme lui défend de rêver aux plaisirs innocens de son enfance, tandis que ses bons anges se tiennent éloignés d’elle. Le merveilleux ici est simplement une vérité traduite dans le langage des images.

Le fond est comme la forme. La tristesse sincère qui parcourt la poésie de Mme Browning, — où elle est du reste relevée par une grande fougue d’imagination et par une force remarquable d’esprit, — est encore essentiellement de son sexe. Il est naturel que la femme pense beaucoup aux jours écoulés et aux premières illusions. Elle n’a pas, comme l’homme, cette vitalité coriace et têtue, qui veut vivre d’une façon ou d’une autre, et qui se refait des désirs et des buts à poursuivre autant que les déceptions en peuvent détruire. Son rôle est d’envoyer une seule fois ses espérances à la découverte, puis il faut qu’elle meure à elle-même comme femme pour devenir mère. Toute femme est donc un peu byronienne, et cela lui sied bien de jeter souvent un regard attristé vers son époque homérique, pourvu qu’il lui reste encore un