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simple. Ils comparaient un fragment à un autre, la description de la peste chez Lucrèce à la description de la peste des animaux chez Virgile. Lequel des deux auteurs avait le mieux saisi le caractère des objets qu’il voulait peindre ? telle était à leurs yeux la question capitale. Quant au caractère que l’un ou l’autre écrivain avait pu montrer lui-même, ils s’en inquiétaient à peine. Ils jugeaient le dire de l’homme plutôt que l’homme d’après son dire, et une description bien exécutée d’après une manière de voir tout ordinaire pesait bien plus dans leurs balances que la manière de voir la plus élevée, pour peu qu’ils pussent lui reprocher une faute d’exécution.

Ce que je dis là des critiques, on pourrait le répéter à peu près de tous les poètes de race latine. Pour eux, évidemment la poésie a toujours été avant tout un art d’ingénieuse description. Ils sont externes lors même qu’ils parlent de leurs sentimens intimes. En lisant, par exemple, les sonnets de Pétrarque ou de Camoëns, ceux des Espagnols ou de notre pléiade du XVIe siècle, on se sent pris d’une sorte d’hallucination. On serait tenté de croire que le poète a assisté à ses propres chagrins comme à de petits drames dont il était uniquement le théâtre. Il nous raconte comment l’amour s’est comporté en lui, il nous détaille les caprices que la fortune s’est permis à son égard, il nous fournit les preuves que le propre de l’espérance est d’être passagère, ou qu’il existe un fait qui s’appelle ingratitude humaine, comme il existe de la neige ; mais c’est là tout, et de lui-même il n’est pas de traces. Il a eu des impressions, mais il ne semble pas y avoir reconnu sa propre ame. Il n’a pas attribué ses déceptions à ses étourderies. Ce qu’il a éprouvé ne lui a pas servi à se connaître ni, à se demander ce qu’il devait être. Il est comme une montre qui sonne ses heures sans se douter de son mécanisme.

Plus ou moins, tous les poètes du midi produisent sur moi un effet de ce genre. Ils ont de la verve, ils n’ont pas d’intensité ; ils ont une imagination inventive, ils n’ont pas d’individualité. Leurs vers sont froids. On y aperçoit le reflet des circonstances qui ont agi sur eux, comme on aperçoit à la surface de la mer le reflet du rocher qui par hasard la touche sur un point ; que le rocher tombât, je parle de celui dont les vers du poète reproduisent l’image, et il n’y aurait plus rien, car sous la surface on n’aperçoit rien d’analogue à ces dépôts sous-marins que la mer construit en elle avec les débris que lui apportent tous les fleuves et qu’elle enlève à tous les rivages. Par là même, le sens moral fait presque entièrement défaut à cette littérature. Poètes et prosateurs peuvent avoir la moralité qui distingue des actions légitimes et illégitimes ; ils n’ont pas cette faculté, je dirais volontiers cette sensibilité particulière qui a comme l’odorat des plaisirs et des dégoûts, et dont les sympathies et les répulsions s’adressent moins aux