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d’eux sembla changer la face des affaires. À l’incertitude, à l’insouciance succèdent aussitôt une activité et une autorité qui se font sentir. Le pouvoir s’organise, des règlemens définissent les droits et les devoirs des commandans et des field-cornets ; les négociations deviennent plus actives avec les chefs des tribus noires ; des dispositions sont prises pour régler la position des gens de couleur et des esclaves émancipés par le gouvernement anglais au milieu de l’émigration où beaucoup d’entre eux avaient suivi leurs anciens maîtres ; des tribunaux sont créés, des lois sont votées par le volksraad ou conseil exécutif. Rien n’est négligé enfin pour donner à l’émigration tous les caractères d’une société régulièrement constituée, pour répondre par des faits honorables aux accusations calomnieuses que les missionnaires répandaient dans la colonie, et surtout en Europe, contre les malheureux Boers.

Quant à l’avenir de toute cette population qui grossissait tous les jours et qui lui avait confié ses destinées, Retief songeait à l’établir sur le territoire de Port-Natal. Il était trop éclairé, il avait l’instinct trop politique pour croire, comme quelques-uns autour de lui l’imaginaient, que le gouvernement anglais voulût jamais permettre la fondation d’un état libre et indépendant dans le voisinage du cap de Bonne-Espérance ; mais il espérait qu’une fois l’établissement des Boers bien assis, l’Angleterre, si l’on montrait une fermeté honorable, se contenterait, plutôt que de faire la guerre civile, d’imposer sa souveraineté, en laissant aux habitans le droit et le soin de se gouverner eux-mêmes à l’intérieur comme ils l’entendraient. Plusieurs circonstances concouraient à l’entretenir dans ces idées. D’abord les Anglais, qui depuis plusieurs années s’étaient implantés plus ou moins régulièrement à Port-Natal, étaient encore abandonnés à eux-mêmes par le gouvernement métropolitain, qui semblait presque vouloir les ignorer ; ensuite toutes les lettres qu’on recevait aux camps des Boers de Port-d’Urban, comme s’appelait le principal centre du nouvel établissement, invitaient de la manière la plus pressante les Hollandais à venir prendre leur part des terres que l’on disait posséder en vertu de contrats dressés en bonne et due forme ; enfin, le chef le plus puissant du territoire désigné sous le nom de Port-Natal faisait aussi des ouvertures dans le même sens. Ce chef nommé Dingaan était lui-même alors en guerre avec Matzellikatze, que les Boers venaient de punir si sévèrement, et il courtisait leur alliance. Un parti d’entre eux, qui avaient poussé leurs explorations jusque dans sa capitale, avait même été chargé par lui de leur faire savoir qu’il était tout prêt à leur céder des terres, qu’il désirait vivement les voir s’établir près de lui. Peut-être alors était-il sincère, et sa politique barbare rêvait-elle de trouver dans les Hollandais des auxiliaires qu’il pût opposer aux Anglais de