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proches les plus chers. Et tandis que, dans ces irruptions non provoquées des barbares, les habitans ont vu égorger sans merci leurs femmes et leurs enfans, tandis que leurs champs étaient ravagés, tandis que leurs troupeaux étaient enlevés, tandis que leurs maisons étaient réduites en cendres, comme pour empoisonner le calice de leurs infortunes, ils étaient condamnés comme étant les auteurs de tous leurs maux par des gens qu’égaraient de faux rapports, qui les jugeaient sans les entendre du haut d’un tribunal élevé à quelques milliers de milles du théâtre des incendies, du pillage et du massacre.

« En vérité, c’est un sujet d’étrange étonnement, quand on y réfléchit, qu’on ait pu laisser durer si long-temps un pareil état de choses, que ceux qui ont été chargés du gouvernement de cette colonie aient méconnu depuis si longtemps l’impérieuse nécessité, dictée et par la raison, et par la justice, et par l’humanité, de faire disparaître de la surface de la terre une race de monstres qui, ennemis implacables et exterminateurs sans motifs des sujets de sa majesté, ont perdu tout droit d’appel même à sa miséricorde. Éconduits dans leurs justes doléances, privés du droit de venger eux-mêmes les maux qui les affligent, sans espoir de recouvrer leurs fortunes ou même de jouir jamais d’aucune tranquillité, les habitans de la frontière ont fini par secouer le joug de la nationalité, et maintenant que les voilà cherchant un asile dans une autre patrie, ils commencent aussi à se faire justice sur leurs éternels ennemis. »

Si telle était la manière de voir d’un officier que le hasard avait amené passagèrement dans la colonie, on devine facilement quels devaient être les sentimens des Boers après toutes ces guerres, après tous ces dénis de justice, après toutes ces inventions de procédures légales, qui ne semblaient avoir été imaginées que pour leur ôter tout espoir. Lorsque l’on connut la résolution prise par le gouvernement sur les actes de sir Benjamin d’Urban, lorsqu’on apprit qu’en Angleterre, malgré tant de désastres, on venait de nommer un nouveau comité qui avait reçu l’insultante mission d’informer sur les traitemens que les Boers étaient censés avoir infligés aux noirs, lorsqu’on vit paraître les traités négociés avec les chefs cafres par sir A. Stockenstrom, et les règlemens qui en furent la suite, un cri de colère et d’indignation s’éleva par toute la colonie. Des milliers de familles se résolurent à quitter le pays, à aller rejoindre, au-delà de la frontière du nord, un certain nombre d’habitans qui, depuis plusieurs années déjà, étaient allés s’établir sur la terre étrangère où l’on savait qu’ils avaient vécu libres et tranquilles, et affranchis de tous rapports avec l’administration anglaise. On connaissait bien le bill qu’en vertu des circonstances même le parlement venait de rendre pour étendre la juridiction des tribunaux du Cap jusqu’au 25e degré de latitude, mais on le considérait comme lettre morte. On partit donc, les uns par groupes, les autres en colonnes organisées, qui, voyageant avec leurs charrettes, véritables maisons roulantes traînées par cinq ou six paires de boeufs, avec leurs troupeaux qu’il fallait abreuver et faire paître,