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manuscrits paternels dérobé au feu des persécuteurs. Joseph saisit avidement ces saintes reliques, il déchiffre ces caractères vénérables ; quelle douceur inconnue pénètre son ame ! quelle lumière merveilleuse le charme et le trouble à la fois ! Une morale qu’il ne soupçonnait pas, des préceptes de conduite dont il n’avait jamais ouï parler et qui répondent merveilleusement à la situation présente de son ame, se déroulent devant lui. Le manuscrit qu’il a entre les mains n’est autre chose qu’une traduction de l’Évangile de saint Matthieu, écrite par le grand-père de Babe. Ces pages qui ont changé le monde, il est naïvement persuadé qu’elles sont l’œuvre de son aïeul. Pour s’éclairer toutefois sur le caractère et le sens de ces paroles qui l’ont si profondément ému, il va trouver le maître de son fils, celui-là même dont les commentaires sur la Bible irritaient l’autre jour son intraitable orthodoxie.

« Eh ! que voulez-vous que ce soit ? dit Arnsteiner avec dédain, tout en développant devant lui les feuilles jaunies. Un chat aura goûté à la marmite, et votre aïeul aura écrit tout un livre sur la question de savoir ce qu’il convenait de faire au chat. Voilà ce que c’est, sans doute ?

« — Lisez toujours, monsieur le professeur, dit Joseph énergiquement ; vous verrez qu’il s’agit d’autre chose.

« Arnsteiner répondit par un mouvement d’épaules méprisant. Puis il feuilleta le manuscrit en chantant cette psalmodie avec laquelle on apprend à lire la Bible aux enfans.

« Joseph le regardait sans détourner un instant les yeux. Il vit l’étonnement du professeur s’accroître à mesure qu’il avançait dans sa lecture. Arnsteiner ne levait plus les épaules avec mépris, il ne psalmodiait plus dédaigneusement ; on voyait que ce manuscrit captivait son attention au dernier degré.

« Tout à coup il s’élança de sa place, et, se frappant le front : — Je connais cela, s’écria-t-il, je suis sûr de l’avoir lu quelque part. — Il réfléchit quelques instans, puis il ouvrit une caisse de livres, et tout au fond, tout au fond, caché sous un grand nombre d’autres ouvrages, il en tira un volume assez épais. Il le feuilleta à la hâte, parcourant çà et là des pages entières d’un coup d’œil rapide, puis il s’écria soudain : — Je savais bien que j’avais vu tout cela quelque part ; le voici mot pour mot.

« Joseph lui demanda avec surprise ce qu’il avait trouvé.

« — Votre aïeul, lui dit le professeur avec une joie où éclatait la malice, était à coup sûr un homme éminent et hardi. Voulez-vous savoir ce que votre manuscrit renferme ?

« — C’est précisément pour cela que je suis venu chez vous, répondit tranquillement Joseph.

« — Mais vous allez trembler, dit le professeur en faisant mine d’hésiter.

« — Je ne peux plus avoir peur, reprit Joseph, puisque je l’ai déjà lu. Ces paroles m’ont déjà remué l’ame tout entière.

« — En vérité ? dit l’autre avec un sourire bizarre. En effet, il ne saurait en être autrement. Il y a des siècles que ce livre passionne l’humanité. On a répandu des flots de sang, on s’est battu, battu pendant trente ans de suite et