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de restituer aux Cafres le territoire qu’ils n’avaient jamais possédé à aucun titre légitime, et de rétablir la frontière de la colonie sur le Fish-River, en laissant toute liberté aux indigènes sur la rive gauche ou orientale du fleuve. En même temps, pour atténuer l’effet que ces résolutions du gouvernement métropolitain ne pouvaient manquer de produire, on annonçait la création d’un office de lieutenant-gouverneur chargé de veiller spécialement à la police de la frontière, et l’on nommait à cette place brillante un enfant de la colonie, un fils du pays, comme disent les Espagnols, un officier des carabiniers montés du Cap (Cape mounted riflemen), le capitaine Andries Stockenstrom, élevé le premier de sa race au rang de chevalier du royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande.

Riche de naissance et plus instruit que la plupart de ses compatriotes, sir Andries Stockenstrom était alors dans tout l’éclat d’une popularité honorablement acquise par l’esprit de justice et par la fermeté qu’il avait déployées comme administrateur du district de Graaff-Reinet. Il était cher à ses compatriotes ; il était leur orgueil et l’une de leurs espérances, et, d’un autre côté, l’austérité de ses sentimens religieux, circonstance dont lord Glenelg avait sans doute aussi tenu compte, le recommandait à la bienveillance du parti qui jusque-là avait toujours su forcer la main au gouvernement. Sir Andries Stockenstrom accepta avec résolution la tâche qui lui était imposée ; il se voua à ses devoirs tels qu’il les comprenait avec une activité, une vigilance et un flegmatique courage qui auraient dû lui mériter le succès, si le succès avait été possible. Il y succomba, et aujourd’hui, malgré la longue retraite où il a su vivre sans plainte et sans faiblesse, son nom est encore l’un des plus impopulaires de la colonie, d’autant plus impopulaire que les siens avaient plus compté sur lui, et que beaucoup le considèrent comme un homme qui a failli à son parti, au sang d’où il est né. Cité en 1851 devant un comité chargé d’informer pour la dixième fois peut-être sur les affaires du cap de Bonne-Espérance, sir Andries s’est rendu en Angleterre au mois de juillet dernier, et, il y a quelques jours, on pouvait lire dans les journaux de Londres une lettre signée de lui par laquelle il protestait contre certaines mutilations qu’on avait fait subir à sa déposition devant le comité. Témoignage d’une ame véritablement chrétienne, et qui désormais attend tout d’un autre monde, cette lettre modeste et fière se terminait en disant que la santé défaillante de son auteur ne lui permettait pas d’espérer de vivre jusqu’à la réouverture du parlement, jusqu’au moment où il pourrait faire rétablir ses paroles, et que, s’il occupait encore de lui le public, c’était seulement pour rendre avant de mourir un dernier hommage à la vérité.

Rien de plus malheureux que l’administration de sir Andries Stockenstrom. Obéissant aux idées d’une philanthropie sincère et exaltée,