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intrigans et des ambitieux hypocrites qui travaillaient à l’établissement d’un empire fondé sur la destruction de la race blanche. On les accusait d’être moralement les auteurs ou les conseillers de toutes les rapines, de tous les assassinats, d’être les instigateurs de ces terribles irruptions de noirs qui, à diverses époques vinrent désoler la colonie, et se produisirent le plus souvent à l’improviste, sans que les colons ou le gouvernement sussent en deviner les causes.

Quant aux gouverneurs, représentans de l’autorité métropolitaine, ils étaient dans la situation la plus difficile, placés, comme on dit vulgairement, entre l’enclume et le marteau. D’un côté, leur conscience ne pouvait méconnaître la réalité de la plupart des griefs allégués par les Boers ; mais aussi, en leur qualité d’Anglais, de sujets d’un gouvernement régulier et de représentans de ce gouvernement, ils ne pouvaient reconnaître le droit que les Boers prétendaient avoir de se faire justice par eux-mêmes, et cependant qu’avaient-ils à dire lorsque les Boers leur répondaient : Nous dénier le droit de nous défendre, c’est prendre l’obligation de nous protéger ? — Alors ils écrivaient en Angleterre pour demander des renforts de troupes, et, après quelques mois d’attente, ils recevaient une dépêche officielle où le plus souvent on rappelait que la colonie du Cap coûtait, en temps de paix, six ou sept millions par an au budget de la métropole, que les dépenses extraordinaires du temps de guerre faisaient plus que doubler cette somme ; que c’étaient là des sacrifices bien considérables pour une colonie désaffectionnée, turbulente ; enfin qu’il n’y avait pas de troupes disponibles. D’un autre côté, lorsque, contraints par la nécessité, les gouverneurs accédaient à quelque mesure de répression contre les noirs, les missionnaires jetaient aussitôt les hauts cris. Dans la colonie même, c’eût été de peu d’importance ; mais ces cris trouvaient des échos formidables en Angleterre, dans les sociétés auxquelles appartenaient les missionnaires, dans les associations philanthropiques et religieuses, dans les meetings passionnés d’Exeter-Hall. La lecture des innombrables blue-books (recueils de pièces officielles) publiés sur les affaires du cap de Bonne-Espérance montre que la plupart des gouverneurs ont été paralysés ou intimidés par cette redoutable puissance qui réussit plus d’une fois à faire annuler les actes du gouvernement colonial, qui obtint même le rappel de sir Benjamin d’Urban, enlevé à la colonie dans l’épanouissement de la plus grande popularité qu’aucun gouverneur anglais y ait jamais obtenue. C’est un fait qui, en France, peut nous étonner, mais dont nous ne saurions pas douter, après que nous avons vu le ministre le plus ferme que l’Angleterre ait eu depuis le temps de William Pitt, l’ami le plus sincère que notre pays ait jamais vu siéger dans les conseils du gouvernement anglais, sir Robert Peel et, lord Aberdeen, contraints par l’agitation religieuse à