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c’est lui aussi que l’opinion populaire a rendu responsable de la banqueroute. Bien long-temps après que le fait était consommé, en 1844, j’ai entendu des colons rappeler avec la plus violente amertume le souvenir de cette liquidation forcée qu’ils reprochaient à l’Angleterre comme une spoliation commise à leur égard, tandis qu’au contraire l’administration anglaise avait fait de sincères efforts pour éviter cette perte à la colonie.

Le changement des droits sur l’importation des vins étrangers fut une autre cause de mécontentement. Les laines sont aujourd’hui le principal revenu de la colonie, son principal moyen d’échange avec l’étranger, la marchandise avec laquelle elle paie la plus grande partie des tissus, des métaux, des instrumens aratoires, des produits de toute espèce qu’elle tire de la métropole ou de l’extérieur ; mais ce n’est que depuis très peu de temps, à peine depuis 1840, qu’il en est ainsi, et en 1806 la colonie ne fournissait encore à l’exportation que le produit des vignobles créés par l’industrie des protestans français venus dans le pays après la révocation de l’édit de Nantes. Or, en 1806, le vin était très rare en, Angleterre par suite de la guerre continentale, et il y devint si cher dans les années suivantes, qu’en 1811 une proclamation royale, datée du 19 décembre, promit aux colons du Cap « qu’aucun moyen ne serait épargné pour protéger l’industrie vinicole, que l’appui constant du gouvernement leur était assuré, etc., etc. » En 1812, une autre proclamation assura des primes à ceux qui feraient les plantations de vignes les plus considérables, à ceux qui produiraient le meilleur vin. En 1813, un acte du parlement admit les vins du Cap sur le marché anglais au tiers seulement du droit imposé aux vins d’Espagne et de Portugal. Par suite de ces faveurs, la production s’éleva de 42,250 hectolitres, chiffre de 1813, à 110,765 hectolitres, chiffre de 1824 ; mais, en 1824, les droits sur les vins de Portugal ayant été réduits tout à coup de 28 livres sterling à 11, et les vins étrangers ayant subi pour la plupart des réductions proportionnelles et qui n’ont cessé depuis lors de devenir plus considérables, l’industrie vinicole au Cap n’a pas cessé d’être en souffrance. En 1832, malgré l’accroissement de la population, la récolte était descendue au chiffre de 97,770 hectolitres. À partir de cette époque, l’exportation a considérablement diminué, bien que le merveilleux développement des établissemens anglais de l’Australie lui ait ouvert tout à coup un débouché inattendu, et sans lequel elle serait tombée presque à rien[1].

  1. Il est bon de noter en passant que la culture de la vigne, introduite depuis quelques années déjà en Australie par des émigrés allemands, s’y acclimate et y fait de notables progrès. J’ignore quelle est la valeur et la qualité des vins de l’Australie, mais j’ai lu récemment dans une correspondance de Port-Philipp, publiée par le Morning Chronicle, que des vins du pays, adjugés en vente publique, avaient non pas seulement soutenu la concurrence contre les produits de l’Europe, mais avaient même, pour de certaines parties, obtenu des prix supérieurs a ceux de nos crûs les plus estimés. Le correspondant ajoutait que, s’il fallait comparer pour le goût et pour la qualité les vins de l’Australie à ceux de l’Europe, ce serait surtout dans les produits du Médoc et de la rivière de Bordeaux que l’on trouverait des analogues.