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au milieu d’eux de colons venus de la métropole leur auraient appris les ressources de la stratégie légale et politique, auraient changé leur position de vaincus, à qui l’on ne devait que le respect des termes de la capitulation, pour celle de sujets d’une patrie commune qui leur devait, comme à ses autres enfans, tous les privilèges qui découlent du gouvernement représentatif et le gouvernement représentatif lui-même. C’est le point où ils arrivent aujourd’hui ; ils ne l’ont pas encore atteint, mais ils ne sauraient plus attendre long-temps.

En prenant possession du cap de Bonne-Espérance, l’Angleterre y apportait avec son administration des conditions politiques et morales qui faisaient honneur à son libéralisme et à la sincérité de ses sentimens chrétiens, mais qui devaient être aussi les causes principales des vicissitudes et des malheurs qui affligèrent bientôt la population coloniale. Divers griefs secondaires contribuèrent aussi à développer ou à entretenir le mécontentement des familles que la capitulation du mois de janvier 1806 avait fait passer sous le gouvernement de l’Angleterre, et il en est trois que je dois indiquer, parce qu’ils ont laissé de longs souvenirs ou parce qu’ils ont été une cause permanente de plaintes contre la nouvelle administration : c’est 1° la conversion du papier-monnaie, 2° la variabilité des droits sur l’importation des vins étrangers en Angleterre, 3° les lenteurs apportées par l’administration anglaise à la légalisation et à la délivrance des titres de la propriété qu’elle crut devoir remanier dans l’intérêt même des habitans.

Il y avait plus de dix ans que la colonie hollandaise, sinon bloquée, au moins coupée de fait de toutes ses communications avec l’extérieur, avait vu anéantir le peu de commerce qu’elle faisait avec l’étranger, lorsque les Anglais s’emparèrent du cap de Bonne-Espérance. La colonie n’était pas ruinée ; ses vignes, ses terres et ses troupeaux n’avaient pas cessé, par suite de cet état de choses, de produire leur contingent annuel, mais le numéraire manquait. Réduit à la dernière détresse, le gouvernement que l’on ne pouvait plus payer, et dont les dépenses couraient cependant toujours, avait fini par avoir recours au dangereux expédient d’un papier-monnaie hypothéqué sur le crédit de la Hollande, sur les futurs revenus de la colonie, sur le produit des terres vagues qu’il espérait pouvoir affermer un jour. C’étaient, vu les circonstances d’alors, d’assez pauvres garanties ; aussi le papier-monnaie de la colonie était-il fort au-dessous du pair en 1806. L’administration anglaise, après des tentatives inutiles pour en relever le cours, le racheta au prix très loyal, car c’était sa valeur courante sur le marché, de 1 shilling 6 pence (1 fr. 40 cent.) le rixdollar, qui avait été émis au pair, c’est-à-dire au taux nominal de 5 francs. En bonne justice, le gouvernement anglais ne devait pas être responsable des pertes que les colons eurent à subir par le fait ; mais, comme il fut l’exécuteur,