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opposaient des barrières infranchissables à des multitudes affamées. À quoi faut-il attribuer ce mouvement qui n’a pu s’accomplir et ne s’accomplit encore qu’au prix de guerres sans fin et de massacres où l’on voit des tribus, des nations entières disparaître avec une épouvantable rapidité ? Est-ce au commerce européen qui, depuis le XVIe siècle, est venu entourer toute l’Afrique comme d’irrésistibles aimans sur lesquels les populations attirées par une force supérieure viennent fatalement se briser ? Est-ce le criminel trafic des noirs qui a déterminé ces sanglantes convulsions ? Faut-il les attribuer au contact du mahométisme, qui, frappé de mort partout ailleurs, est au contraire encore en voie de développement dans l’intérieur de l’Afrique, et qui y a pénétré jusqu’à des profondeurs incroyables, comme semble le prouver le nom collectif de Cafres, c’est-à-dire infidèles (kafir en arabe), imposé à l’ensemble des tribus qui font aujourd’hui la guerre aux Anglais ? Quelles qu’en soient les causes, le fait existe cependant, et l’histoire moderne de la malheureuse Afrique présente le tableau d’un volcan de nations, d’une cascade de peuples dont les vagues, se chassant, s’écrasant les unes les autres, n’arrivent le plus souvent sur les côtes ou dans les déserts du continent, quand encore elles y parviennent, que réduites en poussière, en débris désorganisés. Les preuves à citer sont désormais très nombreuses. Il est constaté en effet, aujourd’hui que l’établissement de certaines tribus noires dans les oasis orientales du Grand-Désert est d’origine récente, que les Gallas qui attaquent en ce moment l’Abyssinie ne se sont montrés sur sa frontière que depuis le commencement du siècle, que les noirs qui peuplent maintenant la Nigritie sont des conquérans venus de fort loin, et que la limite de la colonie du cap de Bonne-Espérance était déjà portée depuis des années fort avant dans l’est sans que l’on connût encore les Cafres, même de nom.

Le mouvement n’était donc pas commencé, ou du moins il ne se faisait pas encore sentir au cap de Bonne-Espérance, lorsque les Hollandais vinrent s’y établir. Les quelques rares et infimes tribus qu’ils y rencontrèrent, Hottentots, Bechuanas, Bosjesmans, etc., ne ressemblaient en rien aux grands et beaux noirs qui devaient plus tard arriver par l’est. Petits, laids, éparpillés par groupes et presque par familles seulement sur de vastes espaces, ils n’avaient de pareils sur la terre que les indigènes abrutis de la Nouvelle-Hollande ou de la Terre de Van-Diémen. Pour donner une idée de ce qu’ils étaient, on pourrait dire, si l’expression n’était pas trop recherchée, que c’étaient quelques gouttes de sang humain qui, parties on ne sait d’où, avaient filtré à travers les déserts, les karoos, qui protégent du côté du nord la frontière de la colonie. C’était une race trop dénuée d’industrie, trop faible sous tous les rapports pour contrarier sérieusement l’occupation des Hollandais, malgré leur petit nombre, malgré la nécessité qui les forçait, comme les Hottentots