Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre le dessus ; les autres s’éteignirent, et un bruit de pas dans l’escalier annonça que la séance était levée. Nous ne connaissons point en France cette douleur sèche, ce ressentiment concentré, cette sombre rancune qui dévorent une Sicilienne sans que sa bouche laisse échapper une plainte, ni ses yeux une larme. Pepina, le regard fixe, les dents serrées, immobile et comme frappée de catalepsie, comptait les morsures du serpent roulé dans son cœur. On frappa doucement à la porte, et elle entendit la voix de Faustina qui lui disait d’ouvrir et lui demandait pardon de l’avoir offensée ; mais elle ne répondit point et ne changea pas de posture. Bientôt après arriva dame Rosalie. – Ouvre-moi, ma fille, dit la bonne femme ; nous irons ensemble trouver don Giuseppe. Je le ferai rougir de t’avoir battue ; il t’embrassera, et tout sera oublié. Il n’y a rien de plus sot que ces querelles pour de petits péchés, comme si ce n’était pas l’affaire des confesseurs ! Va, ma fille, il ne faut pas garder rancune à un père. Tu sais que le tien n’est point méchant et que je le mène par le bout du nez ; ainsi ne sois pas trop sauvage, de peur de mettre les torts de ton côté.

Pepina ne donna pas signe de vie, et la grosse dame s’en retourna comme elle était venue, en grondant contre la brutalité des hommes qui se, fâchent à tous propos et ne savent rien prendre avec patience. Au milieu de la nuit, on entendit enfin la jeune fille marcher dans sa chambre et fouiller dans ses tiroirs. Le silence se rétablit ensuite, et l’on pensa qu’elle était au lit ; mais, le matin, la servante trouva la porte de la chambre ouverte et les hardes éparses sur le plancher. Pepina s’était envolée de la maison paternelle un petit paquet sous le bras. Vers midi, on apporta une lettre à dame Rosalie, contenant ce qui suit : « Très chère dame, vous de qui je n’ai reçu ni chagrin ni outrage, chargez-vous d’apprendre aux autres que je leur pardonne à la condition de ne plus les voir et que j’ai cherché un asile contre les perfidies, les injures et les coups parmi les sœurs de Sainte-Claire. Après six mois de noviciat, si je ne sens point de vocation, je demanderai au monde s’il veut bien me reprendre ; mais je souhaite ardemment de m’accoutumer à la vie religieuse. Agréez, très chère dame, l’assurance de ma tendresse toute filiale. . Don Giuseppe courut au couvent, le visage bouleversé, roulant des larmes dans ses gros yeux. Il fut admis au parloir, où la supérieure lui vint dire très froidement qu’il ne dépendait point d’elle de lui rendre sa fille, que Pepina était libre de sortir ou de rester, et qu’on ne chercherait à l’influencer en aucune façon. Il fallut bien se résigner à attendre l’expiration des six mois d’épreuve. Pendant ce long délai, la maison du pauvre marchand bonnetier fut triste comme un tombeau. On ne vit plus la famille passer le soir sous la porte Felice, et dame