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chef-d’œuvre quand il y joue son rôle. Improvisateur par excellence, Pasquino ne se borne pas aux grosses farces, comme les Polichinelles et les Pancraces de Naples ; il est profond et philosophe dans ses plaisanteries, et l’on sent à travers sa malice une certaine bonté de cœur qui fait qu’on l’aime. C’est un homme de génie dans un genre secondaire, et, depuis cinquante ans qu’il dépense son esprit en Sicile, sa réputation n’est parvenue qu’à grand’peine jusqu’à Naples, ce dont il ne s’embarrasse guère[1].

Le jour où Pepina vint à son théâtre, Pasquino jouait une pièce à tiroirs. Parmi ses divers rôles, il y avait un Napolitain qui se donnait des airs de prepotenza, parlait de ses voyages et déclarait qu’il ne trouvait à Palerme rien de beau. Il se plaignait beaucoup du bruit que faisaient les fontaines sur les places, à chaque coin de rue, dans les vestibules des maisons, et il regrettait ses chères citernes de Naples avec leur eau dormante. Ce personnage excita une gaieté fort bruyante dans l’assemblée. Faustina, poussant le coude de sa compagne, lui dit tout bas : — Jésus ! comme il ressemble à ton amoureux don Vincenzo !

Pepina, frappée de la ressemblance, ne pouvait s’empêcher de rire. Le décor représentait le petit carrefour des quatre Cantoni, point central de Palerme, et qui est un des endroits les plus agréables du monde. Pasquino, après en avoir critiqué les sculptures et les ornemens, y rencontrait un Sicilien, qu’il croyait reconnaître ; il lui sautait au cou et, sans autre préambule, il lui appliquait sur la bouche un baiser retentissant. Le Sicilien s’essuyait avec son mouchoir et demandait au public comment il se pouvait que ce seigneur caressant l’eût pris pour une femme. Sur le carrefour, on voyait arriver de loin une jolie fille endimanchée ; Pasquino la lorgnait, et lui faisait avec la mâchoire le signe grossier qui se traduit dans toute l’Italie méridionale par une provocation amoureuse. La jeune fille effrayée se cachait au pied de la statue de Charles-Quint, en criant que cet homme était enragé et qu’il la voulait mordre ; mais Pasquino, prenant le ton comique et patelin de son pays, rassurait la jeune fille, l’amusait par ses plaisanteries, obtenait d’elle des œillades et des sourires, et, après avoir rétracté ses critiques, finissait par convenir qu’il y avait de fort belles choses à Palerme et que les deux Siciles étaient deux sœurs jumelles aussi aimables l’une que l’autre. Malgré ce dénoûment en faveur du bon Napolitain, Pepina rougit de honte, en se rappelant que don Vincenzo s’était permis de lui adresser, sans la connaître, la proposition dont Pasquino venait de lui faire comprendre le sens impertinent et cynique. Les Siciliennes

  1. Pasquino, âge aujourd’hui de plus de soixante-dix ans, est toujours plein de verve.