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va siéger. L’accusé y sera dans un moment. Le juge, c’est moi. Cache-toi derrière cette haie de figuiers d’Inde jusqu’à ce que je t’appelle.

Le gentil Giulio, paré d’un gilet neuf et d’une cravate rose, ne s’attendait guère à trouver un grand justicier dans sa maîtresse. À l’agitation et aux regards terribles de Pepina, il comprit qu’un orage allait éclater.

— Viens ici, lui dit la jeune fille en le traînant par la main jusqu’à la haie de cactus. Répète en ma présence tout ce que tu as dit hier dans un café de la rue Cassaro à ton ami Gaëtano.

— Eh ! que lui aurais-je dit, répondit Giulio, sinon que vous êtes la plus belle et la plus aimable des femmes ?

— La plus folle, reprit Pepina, la plus indignement bafouée, mais à présent la plus désabusée des femmes. Ah ! vous vous êtes trompés de porte volontairement et d’un commun accord !… Vous avez troqué vos maîtresses comme on échangerait des chevaux ou des chiens !…

— Qui ose avancer cela ? dit Giulio avec assurance.

— Un témoin qui a tout entendu et qui va faire sa déposition. Ce témoin s’appelle Dominique.

Entre deux grosses raquettes de cactus sortit la tête du bonacchino. — Me voici, dit-il ; ce que j’ose avancer est la vérité pure.

Giulio, confondu, regarda le témoin d’un air effaré.

— Misérable ! s’écria Pepina, tu gardes le silence à présent que tu ne peux plus nier. Si j’avais un stylet, je le plongerais dans ton lâche cœur.

Dominique tira de sa poche un couteau fort affilé qu’il présenta du bout des doigts, les pieds en dehors et le haut du corps incliné en avant : — Signorina, dit-il, acceptez ce couteau. Je tiendrai le patient tandis que vous le poignarderez.

— Est-ce bien vous, ô ma Pepina, dit Giulio d’un ton piteux, est-ce bien vous qui voulez m’assassiner pour un mot imprudent, vous qui juriez hier encore de m’aimer jusque dans la tombe ?

La jeune fille laissa choir le couteau ; le feu de la colère s’éteignit dans ses yeux, et sa voix s’altéra.

— Giulio ; dit-elle, qu’avez-vous fait ? Vous avez tué cet amour qui devait être éternel. Je vous ai trop aimé pour vouloir votre mort. Adieu ! Tout est fini entre nous.

— Tu me pardonneras ! dit Giulio en se jetant à genoux.

— Jamais ! répondit Pepina. Je ne veux plus aimer personne. Éloignez-vous ; je sens que je vais pleurer. Laissez-moi seule.

— Il faut vous retirer, dit Dominique, la signorina désire être seule.

— Non, s’écria le jeune homme d’un ton pathétique. Je ne puis partir sans avoir obtenu ma grace.

— Laissez-moi ! interrompit Pepina en frappant du pied.