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— Et qui me rendez-vous ? dit Pepina en retroussant ses lèvres avec dédain : un misérable que je méprise, qui s’est joué de ma tendresse et de ma confiance ! Je n’en veux point. Qu’il ne vienne pas se mettre à mes pieds, je lui marcherais sur la tête. Le traître ! l’ingrat ! Je l’oublierai aussitôt que j’aurai soulagé mon cœur en lui disant ce que je pense de sa perfidie, car il faut que je goûte au moins cette faible vengeance.

— Ne donnez pas une telle satisfaction à sa vanité, reprit le jeune homme. Les reproches, la vengeance sont encore des preuves d’amour. Faites comme moi, Pepina. Je suis trompé odieusement, je pourrais me venger plus sûrement que vous, et cependant je m’éloigne, au désespoir, mais sans colère.

— Vous êtes trompé ! dit Pepina. Par qui donc ?

— Par Faustina. Je l’aimais, et je perds à la fois mon ami et ma maîtresse. Ils se sont entendus pour faire deux malheureux.

— Et vous ne m’en disiez rien, mon pauvre Giulio ! Vous ne pensiez qu’à mon chagrin quand vous étiez aussi blessé que moi ! Cela est noble et sublime. Combien je m’estime heureuse de trouver dans mon abandon un ami si généreux et si compatissant ! Laissez-moi le soin de gronder cette fille coquette qui nous a joués tous deux. Je lui parlerai de la bonne façon. En attendant, je vous dois des consolations. Contez-moi vos peines, mon amitié les adoucira.

Giulio fit le récit de ses amours avec la rusée Faustina. Le souvenir d’un bonheur évanoui depuis si peu de temps amena des larmes dans ses yeux ; mais il insista fort sur le prix qu’il attachait à l’amitié d’une personne en même situation que lui, et dès le premier mot de consolation que Pepina lui voulut dire, il se montra si touché, si joyeux, qu’on ne l’aurait point soupçonné d’avoir le cœur déchiré. Giulio était joli garçon, et il portait ce jour-là une casquette d’étudiant de Catane ornée d’une petite chaîne qui lui allait à ravir. Dans le dessein louable de s’entr’aider à supporter leurs maux, les deux affligés se prirent les mains réciproquement et se regardèrent avec un air de pitié, d’intérêt, et puis de douceur et de tendresse ; ils s’embrassèrent ensuite pour sceller une affection nouvelle qui leur était si secourable, et finalement, sans savoir comment, ils s’aperçurent que leurs blessures se trouvaient guéries ; le couple d’amis s’était subitement transformé en un couple d’amans. Pepina, lorsqu’elle fut seule dans le jardin, se dit à elle-même, un peu étourdie de l’aventure : — Me voilà encore une fois bien loin de mes résolutions ! Au lieu de mourir de douleur, comme j’en avais le projet, je me suis consolée en passant dans les bras d’un autre, selon l’habitude des femmes ordinaires ; mais quand je parlais de mourir, pouvais-je deviner que je rencontrerais un ami si parfait, si aimble, un cœur d’or, le plus joli visage du monde ? car maintenant